Mythomanies littéraires-Carrère l'Adversaire analyse, entretien avec l'auteur, questionnaires, lectures cursives.Romand,Meursault, vérité et mensonge

Analyse littéraire d'une oeuvre intégrale - Le titre du roman : pourquoi “L’Adversaire” ?Questionnaire sur l’Adversaire et son adaptation cinématographique- genre littéraire et genèse- EAF 2020

Carrere

2000 : Jean-Claude Romand vu par Emmanuel Carrère dans L’Adversaire.

 

 En janvier 1993, Jean-Claude Romand, qui a menti durant toute sa vie en faisant croire à sa famille et à son entourage qu’il était médecin, tue ses deux jeunes enfants, sa femme et ses parents. Pendant près de vingt ans, on a pensé qu’il exerçait son métier à l’Organisation mondiale de la santé. En fait, il errait dans les parkings.

L'enquête démontre rapidement que la vie qu'il menait depuis dix-huit ans n'était qu'un mensonge. On le croyait médecin, chercheur à l'OMS. En vérité, il avait arrêté ses études de médecine à la fin de la deuxième année. Et il passait ses journées à errer au hasard des routes, des parkings, des hôtels, des cafés.

Emmanuel Carrère avait suivi son procès.  

L’Adversaire est finalement publié en 2000 après sept ans de recherche, de questionnement et de travail.

Romancier, essayiste, scénariste et réalisateur écrivain

Né le 9 décembre 1957 à Paris

Langue d’écriture : Français, genre Roman, autofiction

Distinctions : Prix Femina, Prix Renaudot

2011, Prix Renaudot pour sa biographie romancée de l’écrivain dissident Russe, Edouard Limonov

Questionnaire sur sa vie

1 -

De qui Emmanuel Carrère est-il le fils?

Emmanuel Carrère est le fils de Louis et Hélène Carrère historienne et secrétaire de l'Académie française.

2 -

Où a t’-il fait ses études?

Après des études à Sciences Po, il est critique cinéma pour Positif et Télérama.

3 -

Quand publie t’-il son premier roman?  un essai en 1982, "Werner Herzog"

un premier roman aux éditions Flammarion l'année suivante : "L'amie du jaguar".

4 -

Citez trois autres de ses œuvres

"Bravoure"(1984), "La moustache"(1986) "Hors d'atteinte"(1988)

5 -

Abandonne t’-il le cinéma pour autant?

Non, il continue d’écrire des scénarios de long métrage comme Mr Ripois.

6 -

Citez deux adaptations cinématographiques, grands succès

"La classe de neige", qu'il adaptera pour le cinéma. Le film, réalisé par Claude Milner, rencontrera un franc succès. Autre adaptation, autre succès, avec "L'adversaire", inspiré par l'affaire Jean-Claude Roman. Adaptation cinématographique en 2002 par la réalisatrice Nicole Garcia

7 -

Quel est son plus célèbre roman?

L’adversaire, publié en 2000

8 -

Avec quel roman revient-il à la littérature dès 2007?

Un roman Russe puis d’autres vies que la mienne en 2009

9 -

Quels sont ses trois derniers ouvrages?

"L'adversaire" "Retour à Koletnich"  "un roman russe"

10 -

De qui Carrère est-il le compagnon?  compagnon de la journaliste Hélène Devynck. Ils ont une petite fille, Jeanne.

Le titre du roman : pourquoi “L’Adversaire” ?

Qui est « L’ADVERSAIRE » ? : Pourquoi ce titre ?

Entretien avec l’auteur : Comment est venu le choix du titre, L’Adversaire ?

D’une lecture de la Bible qui était liée à mon interrogation religieuse. Dans la Bible, il y a ce qu’on appelle le satan, en hébreu. Ce n’est pas, comme Belzébuth ou Lucifer, un nom propre, mais un nom communLa définition terminale du diable, c’est le menteur. Il va de soi que l’« adversaire » n’est pas Jean-Claude Romand. Mais j’ai l’impression que c’est à cet adversaire que lui, sous une forme paroxystique et atroce, a été confronté toute sa vie. Et c’est à lui que je me suis confronté pendant tout ce travail. Et que le lecteur, à son tour, est confronté. On peut aussi le considérer comme une instance psychique non religieuse. C’est ce qui, en nous, ment.

Questionnaire sur l’Adversaire et son adaptation cinématographique

 

1 -

Quel est le genre littéraire de l’Adversaire?

C’est un récit publié en 2000, un drame

2 -

Quel en est le sujet?

Ce récit a pour sujet l’affaire Jean Claude Romand qui tue sa femme, ses parents et enfants par le feu et tente ensuite mais en vain de se suicider à l’aide de barbituriques.  Une enquête est ouverte et dévoile qu’il n’était pas médecin comme il le prétendait.  Il n’avait en fait pas de travail et a vécu dans le mensonge pendant 18 ans.  Il décidera de supprimer sa famille lorsqu’elle s’en rendra compte, il préfère tuer sa famille que de vivre dans la honte de son mensonge.

3 -

Comment Carrère en est-il venu à écrire un roman sur ce thème?

Emmanuel Carrère découvre ce fait divers dans un journal. Il est intrigué par ce crime et rencontre le criminel en lui avouant ses intentions d’écrire un livre sur son histoire. Romand consentira à ce projet commun et avoue qu’il regrette son crime.

4 -

Emmanuel Carrère participe t’-il au procès de Romand à Bourg en Bresse?

Oui dans le but de donner vie et consistance à son ouvrage, il s’intéresse principalement aux mensonges de cet homme.

5 -

Quelle peine Romand a t’-il encourue?

La réclusion à perpétuité

6 -

Emmanuel Carrère a t’-il rencontré des difficultés à écrire ce livre?

Oui, il a d’abor tenté d’écrire l’histoire sous la forme de roman en faisant parler l’assassin à la première personne ou encore en faisant intervenir le point de vue des amis de Romand et personnages de l’ histoire.

En fait il finira par narrer  sa propre expérience. Il n’écrira plus qu’à la première personne.

7 -

Quelle est l’intention de Carrère?

Expliquer le geste fou d’un homme de manière objective, sans le juger. Il ressent la nécessité de comprendre Romand et non de le juger en se substituant à la justice.

8 -

Ce livre est-il pour ces raisons plus un roman, un récit qu’un journal de bord?

C’est plus un journal de bord.

 

L’adaptation cinématographique

1 -

Quand ce livre a t’-il été adapté au cinéma?

Le livre a été adapté en 2002 par Nicole Garcia

2 -

Quel était le personnage principal?

Daniel Auteuil . L’histoire est inspirée de l’histoire vraie de Romand et du roman éponyme de Carrère.

3 -

Quelles distinctions ce film a t’-il obtenues?

Ce film fut en compétition pour la palme d’or, Festival de Cannes 2002

- Nomination au César du meilleur acteur pour Daniel Auteuil

- Nomination au prix Louis Delluc en 2002

Quel est le genre du livre?

Genre du livre, par l’auteur lui-même

« L’Adversaire n’est pas un roman. C’est une non fiction novel, le terme est juste. L’agencement, la construction, l’écriture font appel aux techniques romanesques, mais ce n’est pas une fiction. Mon enjeu, c’est la fidélité au réel. »

 

Le terme non fiction novel[1] est emprunté à un écrivain américain, Truman Capote, qui publie en 1966 De Sang-froid« roman non roman » à partir d’un faits divers.

Propos d’Emmanuel Carrère cités par Télérama, 19 janvier 2000

[1] Novel en anglais = roman

Dans L’ADVERSAIRE, on a beaucoup de références cinématographiques comme Les Quatre Cents coups,  Le Père Noël est une ordure . Ces références ancrent le récit dans le réel. Elles donnent de la véracité à ce qui est raconté dans L’Adversaire - de nombreuses allusions ou  références à des articles de presse (Libération, Le Monde, L’Est républicain, Le Nouvel Observateur, L’Humanité, etc.) sur l’affaire - 

Carrère écrit à partir de ces masses d’information. De ce fait, sa propre conception est déjà hors de l’objectivité

 Il y a donc à la fois un support d’informations bien réel à travers des articles mais ce même support est lui-même une  « manipulation » du réel et de l’objectivité de l’auteur. Il y a d’une certaine façon, nécessairement fiction.

Et la recherche de Carrère  se situe ailleurs:

« Une fois décidé, ce qui s’est fait très vite, d’écrire sur l’affaire Romand, j’ai pensé filer sur place. M’installer dans un hôtel de Ferney-Voltaire, jouer le reporter fouineur et qui s’incruste. Mais […] je me suis rendu compte que ce n’était pas cela qui m’intéressait. L’enquête que j’aurais pu mener pour mon compte, l’instruction dont j’aurais pu essayer d’assouplir le secret n’allaient mettre au jour que des faits. […] tout cela, que j’apprendrais en temps utile, ne m’apprendrait pas ce que je voulais vraiment savoir : ce qui se passait dans sa tête durant ces journées qu’il était supposé passer au bureau ; […] qu’il passait, croyait-on maintenant, à marcher dans les bois. »

La genèse du livre

Après la lettre que Carrère a écrit à Romand, voici ce qu’il écrit :  

« Si […] Romand ne me répond pas, j’écrirai un roman « inspiré » de cette affaire, je changerai les noms, les lieux, les circonstances, j’inventerai à ma guise : ce sera de la fiction.

Romand ne m’a pas répondu. » . Mais il lui répondra plus tard.

« J’ai commencé un roman où il était question d’un homme qui chaque matin embrassait femme et enfants en prétendant aller à son travail et partait marcher sans but dans les bois enneigés. Au bout de quelques pages, je me suis retrouvé coincé. J’ai abandonné. »

 

« Il y a maintenant trois mois que j’ai commencé à écrire. Mon problème n’est pas, comme je le pensais au début, l’information. Il est de trouver ma place face à votre histoire. En me mettant au travail, j’ai cru pouvoir repousser ce problème en cousant bout à bout tout ce que je savais et en m’efforçant de rester objectif. Mais l’objectivité, dans une telle affaire, est un leurre. Il me fallait un point de vue.   […]

Ce n’est évidemment pas moi qui vais dire « je » pour votre propre compte, mais alors il me reste, à propos de vousà dire « je » pour moi-même. A dire, en mon nom propre et sans me réfugier derrière un témoin plus ou moins imaginaire ou un patchwork d’informations se voulant objectives, ce qui dans votre histoire me parle et résonne dans la mienne. Or je ne peux pas. Les phrases se dérobent, le « je » sonne faux. »

Entretien avec l'auteur

Dans quelles circonstances avez-vous décidé de consacrer un livre à cette affaire?

Emmanuel Carrère. J'avais lu cette histoire avec une espèce de sidération. J'ai su tout de suite que j'avais envie d'écrire quelque chose là-dessus. J'ai été tellement sidéré que j'ai même eu la tentation de me transformer en journaliste de fait divers, c'est-à-dire de foncer sur place. A ce moment-là, il y avait pour moi un modèle. 

De sang-froid de Truman Capote?

E.C. Un livre que j'admire énormément. Quand il est tombé sur un fait divers analogue, Capote a quitté New York, a rejoint le lieu des crimes, le Kansas, deux jours après les faits et y est resté pendant plusieurs années. Moi, je n'ai pas bougé. Ce qui m'intéressait, ce n'était pas l'information extérieure que je pouvais pêcher en faisant l'enquêteur. Cette affaire me travaillait à cause de la part d'imposture qui existe en nous et qui ne prend que très rarement des proportions aussi démesurées, tragiques, monstrueuses. Il y a, en chacun de nous, un décalage entre l'image qu'il donne, qu'il souhaite donner aux autres, et ce qu'il sait qu'il est lui-même, quand il se retourne dans son lit sans arriver à s'endormir. Le rapport entre ces deux hommes-là, c'était ce qui m'attirait. J'y voyais l'occasion d'en parler sous la forme de la tragédie, pas de la chronique intimiste. Sur le moment, je ne me disais pas cela de façon aussi précise et articulée. Je ne savais pas ce que je voulais faire. Mais ça me trottait dans la tête. Alors, j'ai fait un pas dont les conséquences ont été énormes pour la suite de ce livre. 

Un pas, c'est-à-dire?

E.C. Si je voulais m'attaquer à cette histoire, j'étais obligé de prendre contact avec Jean-Claude Romand. Je lui ai écrit une lettre qui m'a vraiment coûté beaucoup d'effort, de brouillons, et à laquelle il n'a pas répondu. Je m'étais dit que s'il ne me répondait pas, j'étais libre, je faisais ce que je voulais de cette histoire. Le temps passant, j'ai constaté que je ne recevais toujours rien. J'ai relancé son avocat par l'entremise de qui j'avais écrit. Il m'a envoyé paître tout bonnement. J'ai considéré que c'était une fin de non-recevoir. Je me suis orienté vers une forme très romanesque et librement inspirée. Je tournais autour d'une image qui était celle d'un homme qui marchait dans la neige. Une phrase m'avait aimanté dans l'un des articles de Libération, qui se terminait par: «Et il allait marcher seul dans les forêts du Jura.» Pour moi, l'image centrale c'était ce type qui passait ses journées, années après années, à marcher dans les forêts. En fait, je crois qu'il passait beaucoup plus de temps à traîner dans les librairies, sur les autoroutes ou dans les cafétérias. A partir de cette image de l'homme qui marchait dans la forêt s'est construit quelque chose qui, tout à coup, est sorti un an après et qui devint un roman, La classe de neige. 

La classe de neige n'est née d'aucun fait divers précis?

E.C. Aucun. Hélas, les histoires de crimes sur des enfants existent. C'était une espèce de brouet qui s'est fait tout seul. J'ai écrit ce livre très vite sans très bien savoir ce que je faisais, avec une part d'inconscient sans doute. Quand il a paru, je ne pensais plus du tout à l'affaire Romand. Et j'avais l'impression que ce qui m'avait intéressé dans ces crimes s'y trouvait. Donc c'était fini. Le livre a eu du succès. Et un jour j'ai reçu une lettre de Romand. Il avait lu le livre et, deux ans après ma propre lettre, il me répondait pour me dire que si j'étais toujours intéressé pour écrire sur son histoire, il était partant. Cela a été très perturbant, parce que je m'étais éloigné de cette histoire. J'ai répondu à Romand sans m'engager. Peu à peu, on a entretenu une correspondance. Je n'osais pas aborder l'affaire, j'avais l'impression que lui non plus. Il racontait sa vie en prison. Et puis il est venu à parler de sa foi. C'est clairement ce qui le soutient et qui donne sens - je ne sais pas lequel - à la seconde partie de sa vie. C'est aussi pour moi une des énigmes de ce livre. Il s'est mis à m'en parler assez librement. Petit à petit, l'envie d'écrire sur ce sujet m'est revenue. 

Il vous a demandé si vous étiez croyant vous-même?

E.C. Oui. Je lui ai répondu par l'affirmative, pas du tout hypocritement, mais dans une sorte d'incertitude totale. Je me sens agnostique, au sens le plus littéral du terme. Ce principe d'incertitude est pour moi une sorte de moteur dans la vie et même dans mes livres. On ne peut savoir quelle est la vérité. Kafka avait cette phrase magnifique: «Je suis très ignorant, la vérité n'en existe pas moins.» Me rapprochant de lui et de son histoire, j'ai éprouvé un désir d'être un peu croyant. 

L'aviez-vous jamais été?

E.C. Disons que je m'étais beaucoup posé la question. J'ai lu beaucoup d'auteurs mystiques. Mais, à ce moment, j'ai eu une volonté d'être croyant, voire même chrétien, comme si c'était la seule façon d'approcher d'une telle monstruosité. Comme si vous étiez dans un tunnel, et que vous ne puissiez imaginer qu'il y ait au bout une petite lumière qui indiquerait une sortie. Il y a eu pour moi un minipari pascalien et une sorte de viatique pour approcher de ce drame. 

Vous n'avez jamais abordé l'affaire?

E.C. Je n'ai jamais pensé une seconde que Romand me dirait à moi, entre quatre yeux, ou m'écrirait des choses qui ne figureraient pas dans le dossier d'instruction. Il a été interrogé pendant deux cent cinquante heures. Son procès a duré une dizaine de jours d'une intensité sidérante. Toute l'information nécessaire s'y trouvait, il ne pouvait rien ajouter. J'ai toujours pensé que Romand essayait de dire la vérité sans dissimulation au juge d'instruction comme à la présidente du tribunal. Son problème était de se la dire à lui-même. L'accès à sa propre vérité lui était impossible. Je n'avais pas l'impression qu'il pouvait exister une sorte de double fond que j'aurais fouillé en ayant sa confiance. Cela m'a été confirmé quand j'ai assisté au procès qui a été d'une grande tenue. J'ai été très frappé par la qualité humaine des chroniqueurs judiciaires. Dans ce procès, les faits étaient établis et avoués. Vu leur gravité, il était clair que la peine serait très lourde. L'enjeu était uniquement humain. On essayait de comprendre ce qui pouvait être compris. Presque tous les acteurs du procès - de l'accusé au juge en passant par les avocats, l'avocat général - s'y sont essayés. 

Avez-vous pris des notes pendant le procès?

E.C. J'ai rempli des carnets complets. Puis j'ai entamé un récit objectif. Mais j'avais des problèmes de points de vue. Je suis donc retourné sur les lieux. Je ne me suis pas livré à un énorme travail d'enquête comme l'avait fait Capote. J'ai rencontré un ami proche de Romand, que j'appelle Luc dans le livre, et j'ai essayé d'écrire de son point de vue. Il me paraissait presque obscène d'entrer dans le personnage de Romand. J'ai abordé le drame de biais en me posant la question: «Et si, un jour, mon meilleur ami apprenait que j'ai tué toute ma famille et que je lui ai menti, depuis toujours, que se passerait-il?» Je tenais une voie. Finalement, ce qui occupe maintenant une quinzaine de pages au début du livre en faisait alors une cinquantaine. Coincé à nouveau, j'ai fait une pause. Travailler sur une telle histoire est éprouvant. Je me demandais ce qu'il y avait de tordu dans ma tête pour que je m'y intéresse tellement. Sur ce point, les réactions des lecteurs me rassurent en me prouvant que cela touche quelque chose d'universel et ne vient pas d'une fascination morbide personnelle. 

Vous aviez donc renoncé...
E.C. Il s'est passé encore deux années pendant lesquelles j'ai continué à correspondre avec Romand, de façon plus sporadique. J'ai vraiment freiné des quatre fers pour ne pas écrire ce livre. Mais j'ai ressenti que si je ne l'écrivais pas, je n'écrirais plus rien d'autre. J'ai choisi alors une méthode plus minimaliste. Profil bas, n'essayons pas de faire un bel objet littéraire. Oublions Truman Capote et son roman symphonique de l'Amérique moderne. Faisons court avec le sérieux du journaliste de la façon la plus neutre possible. Mais cela coinçait encore. A l'automne 1998, j'ai enfin compris une chose d'une simplicité totale: je devais écrire à la première personne. Or, je n'ai jamais écrit à la première personne. «Je» m'est assez difficile. A partir du moment où le «je» est venu, dès la première phrase, le reste a suivi. Il y avait le travail antérieur - ces centaines de pages écrites. L'histoire, je l'avais prise par tous les bouts. J'ai reconstitué chronologiquement mon rapport avec cette histoire et j'ai écrit ce que je ressentais. Mais, pour moi, ce n'était pas un roman.

Plutôt un récit?

E.C. Un rapport. Philip K. Dick disait - lui qui écrivait la science-fiction la plus échevelée - que ses livres n'étaient pas vraiment des romans, mais des rapports. J'avais la même impression. En deux mois, je suis arrivé au bout de mon livre. Je l'ai apporté à mon éditeur qui en a programmé la publication pour le printemps dernier. Au début de l'année, j'ai paniqué, j'ai eu l'impression qu'il y avait en lui quelque chose de radioactif. J'ai retiré le livre à l'éditeur. A commencé une période de dépression. J'avais l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Il me semblait que j'avouais une fascination et une affinité absolument monstrueuses. Durant l'année, un travail intérieur s'est fait. J'ai compris que cette fascination, tout le monde l'éprouvait. Peu à peu, le sentiment de malaise et de culpabilité s'est dissipé. De la honte je suis passé à la fierté. Comme une victoire. Sept ans à ramer, pour arriver enfin à quelque chose qui a une valeur pour autrui.

Pendant le procès, des journalistes présentaient Romand comme le «démon». Vous, vous voyez en lui un «damné»?

E.C. Oui, j'avais l'impression que l'adversaire, c'était ce qui était en lui et qui, à un moment, a bouffé et remplacé cet homme. J'ai l'impression que, dans cette arène psychique qui existe en lui, se déroule un combat perpétuel. Pour le pauvre bonhomme qu'est Jean-Claude Romand, toute la vie a été une défaite dans ce combat. 

A-t-il lu le livre?

E.C. Quand finalement j'ai pris la décision de le publier, je lui ai donné à lire les épreuves. Je lui avais expliqué que je ne lui accordais aucun droit de regard. Je les lui donnais par scrupule, mais c'était assez cruel parce qu'il ne pouvait rien changer. J'ai eu des échos de sa lecture par cette visiteuse de prison dont il est question dans le livre. Elle m'a dit qu'il était bouleversé. Mais ce qui le faisait souffrir, ce n'est pas tant de voir sa vie étalée - elle l'a été au procès - que ma position agnostique. Cette foi dont j'ai tâché de m'approcher au maximum, que j'ai essayé, presque, de partager. Contrairement à son attente, le livre n'explique pas «Voilà, Jean-Claude Romand a commis des crimes épouvantables et maintenant il est sur la voie de la Rédemption». Simplement, il donne voix aux deux points de vue. Celui de ses amis visiteurs de prison qui le voient comme quelqu'un qui vit une expérience spirituelle intense, et celui de la journaliste de Libération qui parle de la «dernière des saloperies» à propos de la faculté qu'a Romand de se réfugier dans la foi. Romand aurait aimé que je me rallie au premier jugement... 

Donc, vous ne tranchez pas...
E.C. Dans les rapports sur Romand, un psychiatre disait, à propos de sa foi, qu'on ne pouvait être qu'agnostique. C'est mon point de vue. Il y a deux questions emboîtées. La première est celle de l'existence de Dieu. La seconde, si Dieu existe, est de savoir si c'est à Lui que Romand a affaire ou si c'est toujours à l' «adversaire» qui prend le masque de Dieu? C'est la question que je pose à la dernière page, et c'est le c?ur du livre. 

A propos de cet adversaire, le lecteur pourrait vous prendre pour un héritier de Bernanos, de Julien Green, de tous ceux qui croient à la présence réelle du diable.
E.C. A ça je ne crois pas. Mais tout de même, que quelque chose en nous soit ce qu'on appelait le diable, une telle histoire me paraît le prouver. Mais, la différence entre croire au diable comme incarnation réelle et y croire comme instance psychique existant en chacun ne me paraît pas si énorme. Sans doute parce que mon point de vue n'est pas religieux. 

Il y a des «monstres» dans vos précédents livres. Il est question de Frankenstein dans Bravoure. Et puis il y a La classe de neige...
E.C. Effectivement, dans La classe de neige, le père était un monstre. Il y a un rapport très intime entre ce livre et L'adversaire. J'ai écrit La classe de neige après un premier abandon de l'affaire Romand en y intégrant l'image essentielle qu'avait fait naître sa personnalité. Mais ensuite Romand m'a dit qu'il avait l'impression que La classe de neige était un récit de son enfance. Pas littéral, mais qui le touchait de près. En sorte que j'ai souvent pensé au personnage de L'adversaire comme s'il était un peu l'enfant de La classe de neige grandi. Quelqu'un de replié depuis longtemps dans une espèce d'autisme, enfermé en soi. 

Vous rappelez que, dans la famille de Romand, le mensonge était banni et qu'en même temps on lui apprenait à mentir pour ne pas faire de peine à sa maman.
E.C. C'est une chose qui est apparue clairement pendant le procès. Ces pratiques de pieux mensonges étaient très troublantes. Il ne fallait pas faire de peine, pas se vanter. Il ne fallait jamais mentir et à chaque moment on vous enseignait à mentir. Cela paraît exagéré, la façon dont un petit mensonge de base produit cet engrenage qui dure dix-huit ans et aboutit au drame. Autre chose m'hypnotisait dans cette histoire. Quand on s'est aperçu qu'il menait une double vie, que l'autre «vie» était vide. C'est sur ce vide-là que j'avais envie d'écrire, sur ce qui pouvait tourner dans sa tête pendant les journées passées sur des parkings d'autoroute. J'ai essayé d'encadrer ce vide pour que le lecteur perçoive intimement ce que c'était que de vivre dans ce monde vide et blanc. 

A propos de vide, ce qui frappe, c'est qu'on a fouillé sa vie sous tous ses aspects, sauf sa vie sexuelle. Vous dites que les psychiatres n'ont pas beaucoup exploré ce domaine, et qu'il y a de grands blancs.
E.C. On n'en a pas parlé du tout. De toute évidence, il n'avait pas une sexualité heureuse et épanouie. 

C'était un homme non touché, non caressé. A la fin, il allait voir des masseuses pour enfin avoir un corps.
E.C. Oui, il allait dans des salons de massage et il avait l'impression d'exister un peu

Dans la littérature française, beaucoup de grands écrivains ont rapporté des faits divers, relaté des procès. Pour ce siècle, je pense à Gide, à Mauriac, à Jouhandeau. Mais votre livre n'est-il pas un «objet littéraire» d'un genre nouveau en France?

E.C. Je ne sais pas. Tous les romans s'inspirent de quelque chose. Le Rouge et le Noir ou Madame Bovary ont été inspirés par des faits divers. J'ai lu les livres de Gide dans la collection «Ne jugez pas» comme La séquestrée de Poitiers, que je trouve remarquables. Mais pour Gide, Mauriac et les autres, ces ?uvres n'étaient pas centrales dans leur travail. Alors que, pour moi, c'est un investissement littéraire total. 

Est-ce que, à un moment dans votre vie, vous avez eu peur du diable? Dans des cauchemars, d'une présence du malin?

E.C. Je ne crois pas. Cette figure du diable, à laquelle Bernanos et Julien Green croyaient dur comme fer, n'est pas mon affaire. Je redoute ce qui, dans l'esprit de chacun d'entre nous, est le diable ou le menteur. 

Quand vous étiez enfant, quelle forme prenait la peur? Qu'est-ce qui vous terrifiait, vous angoissait, qui était extérieur à vous et en même temps en vous?

E.C. J'ai du mal à me rappeler ces peurs, parce que j'ai l'impression que je leur ai donné très tôt une représentation en lisant ces récits fantastiques dont La classe de neige est tellement colorée, tous ces récits d'épouvante qui permettent à la fois de nommer, d'apprivoiser ses peurs et de leur donner des visages. Le propre de la peur, c'est l'absence de visages, on ne sait pas de quoi on a peur. Justement les histoires d'épouvante permettent d'avoir peur de quelque chose. 

On comprend les difficultés morales, psychologiques que vous avez surmontées... Mais du point de vue littéraire?

E.C. J'ai veillé à ce que cela soit écrit le plus simplement possible. Il y a eu un travail constant de resserrement. Je crois que c'est le livre pour lequel j'ai eu le plus de jeux d'épreuves: quatre au lieu des deux habituels. Mon écriture tend au dépouillement. Les phrases doivent être conductrices d'électricité. Plus elles sont simples, plus le courant passe. Ce n'est pas une règle générale. Juste ma pratique personnelle. 

Simenon compte-t-il pour vous?

E.C. Oui. J'ai adapté plusieurs de ses romans à l'écran. C'était une expérience très troublante. A la première lecture on se dit que le boulot est fait. Tout y est. Et dès qu'on commence à regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il n'y a rien. Son écriture est comme une savonnette, extraordinairement virtuose et vicieuse, mais ça se barre de partout. Il y a en elle quelque chose de fuyant et de tordu. 

Les derniers mots du livre sont «crime» et «prière». «Prière» est aussi à prendre au sens non religieux?

E.C. La possibilité d'échapper à la culpabilité d'écrire cette histoire était d'imaginer une porte de sortie. Une rédemption. On n'est pas forcé de voir cela de façon religieuse, dogmatique, mais malgré tout, dès qu'il est question de rédemption et de prière, c'est religieux. Le récit raconte quelque chose qui est arrivé à un être humain et parle à d'autres êtres humains. 

Ce qui est frappant aussi, c'est l'incroyable légèreté de vivre qu'il semble avoir en prison, son idylle avec l'ancienne directrice d'école. La vie recommence fraîche et joyeuse. Les poèmes qu'il envoie à cette femme sont extraordinaires...
E.C. C'est très troublant. Ce sont des choses à mettre à son crédit. Cela a été dit au procès, et fait partie de l'histoire. 

Pour sa défense, on peut dire qu'il a voulu tuer les siens pour leur épargner le malheur d'être pauvres, à la rue...
E.C. Non, pas le malheur d'être pauvres. Il se figurait que savoir la vérité sur lui leur serait intolérable. Il préférait les savoir morts que de les savoir détruits par cette vérité. 

Et tout de même pauvres! Tout l'argent des beaux-parents, des parents, avait été dépensé. A la rue, sans logis, sans rien.
E.C. C'est tout ce qu'on appelle, en termes de taxinomie psychiatrique, les crimes altruistes. Il a tué les personnes qu'il aimait le plus au monde. 

Pour les protéger du malheur...
E.C. Et de la vérité sur lui. Pour se protéger de leurs regards sur lui. 

Autre chose inouïe: il n'a pas eu à se cacher. Il n'a pas eu à monter des plans. Personne ne s'intéressait à lui au point de vérifier ses dires.
E.C. Il n'y a effectivement pas eu de plan machiavélique. Tout s'est passé au jour le jour. Il était à la merci du premier coup de fil. Et, en dix-huit ans, ce coup de fil n'a jamais eu lieu. C'est sidérant. 

Dès sa jeunesse, il n'était vraiment nécessaire à personne. Il était là, on était heureux de le voir; il n'était pas là, on se passait de lui.
E.C. En même temps, il était très aimé de ses parents. C'est quand même une histoire de grande solitude, avant et après le drame. 

Jeune homme, il avait fait semblant d'être agressé, avec sa voiture, et il était rentré blessé pour avoir des choses à dire à sa bande de copains.
E.C. Oui. Pour se rendre intéressant, comme on dit des enfants. Il avait des comportements très enfantins. 

Dans votre vie d'écrivain, quelle place maintenant tient ce livre à vos propres yeux?

E.C. J'ai la conviction que ce livre met fin à un cycle. Ma fascination pour la folie, la perte de l'identité, le mensonge, c'est fini. L'adversaire est à la fois une espèce de pré- et de post-scriptum à La classe de neige. Pour moi, ce sont des livres jumeaux. L'un exploite l'imagination littéraire, l'autre l'exactitude du document. Je sais qu'autre chose va venir, je ne sais pas quand, je ne sais pas quoi. Je ne peux pas aller plus loin. Cela ne veut pas dire que je me mette à la comédie légère, mais je crois que je peux faire des livres plus ouverts, qui ne soient plus des livres d'enfermement. Mais je ne suis pas pressé.

 

Documents complémentaires - Le « mentir-vrai » Sabine Dotal

Le « mentir-vrai »

Par quel paradoxe magique, la fiction, l’œuvre d’art sont-elles plus à même de révéler la vérité profonde d’une époque, d’un être humain, qu’une étude historique, biologique, psychologique, anthropologique ou documentaire ? Ce que Aragon appelle le « mentir- vrai ».

Comment expliquer que n’importe quel volume de La Comédie Humaine de Balzac, à travers une histoire inventée, suggère mieux l’essence de la Restauration et de la Monarchie de Juillet qu’un livre d’histoire ? Que la pièce d’Ariane Mnouchkine, le Dernier Caravansérail en dit plus et plus fort que tous les articles et reportages réunis sur les sans-papiers ? On peut faire les mêmes remarques sur un film de Bergman ou Pasolini, un poème de René Char. Maints tableaux de Watteau représentant des fêtes galantes, donnent à voir surtout, au-delà de l’anecdote peinte, comme par transparence, par une vibration des tons et des valeurs, la vérité d’une société aristocratique secrètement travaillée par le pressentiment de sa disparition, et cela, quatre-vingts ans avant la Révolution. Une sculpture de Giacometti comme l’Homme qui marche n’est-elle pas une incroyable condensation d’une vérité humaine bouleversante sans commune mesure avec la réalité visible ?

C’est que l’œuvre d’art n’est pas simple message – c’est-à-dire vérité à transmettre (on serait alors dans l’idéologie). La vérité naît dans l’acte créateur, surgit de « crises » que Michel Leiris définit comme « les moments où le dehors semble brusquement répondre à la Sommation du dedans ». La vérité pour l’artiste est objet de quête : rendre visible l’invisible, faire entendre l’inouï ; il crée un monde parallèle, celui qui y pénètre ne trouve ni message, ni morale, ni leçon, mais se rencontre lui-même, à ses risques et périls.

Sabine Dotal , Cairn info

Romand ne peut pas dire la vérité, Meursault refuse de mentir

Meursault est un personnage qui refuse de mentir, de jouer la comédie de la société

« Meursault refuse de mentir. Mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi, et surtout, dire plus que ce qui est, et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus que ce qu’on ne sent. Et c’est finalement ceci qui lui sera reproché lors de son procès. Pensons à cette réplique du procureur : « il a déclaré  que je n’avais rien à faire dans un société dont je méconnaissais les règles les plus essentielles »

Le problème de Romand c’est qu’il ne peut pas dire la vérité.

Romand va tuer sa famille parce qu’il refuse qu’elle découvre la vérité sur son compte.

Mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi dire plus que ce qui est, et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on ne sent

Camus à propos de Meursault : Albert Camus, préface à l’édition américaine de l’Étranger, 1955

« J’ai re?sume? l’E?tranger, il y a tre?s longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est tre?s paradoxale : dans notre socie?te?, tout homme qui ne pleure pas a? l’enterrement de sa me?re risque d’e?tre condamne? a? mort. Je voulais dire seulement que le he?ros du livre est condamne? parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est e?tranger a? la socie?te? ou? il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie prive?e, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont e?te? tente?s de le conside?rer comme une e?pave. On aura cependant une ide?e plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La re?ponse est simple, il refuse de mentir. Mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi, c’est surtout dire plus que ce qui est, et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on ne sent. C’est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. »

Meursault et Romand, deux personnages opposés

On a souvent tendance à considérer Meursault comme un personnage vide, une sorte de mort-vivant dénué d’intérêt pour quoi que ce soit. Si un être vide signifie « un être vide de pensées », on aurait tort de le croire. Meursault réfléchit souvent, pèse souvent le pour et les contre (« d’un côté… de l’autre »), juge souvent les paroles de ses interlocuteurs : il juge que le télégramme lui annonçant la mort de sa mère « ne veut rien dire », remarque que Masson complète « tout ce qu’il avançait par un « et je dirai plus », même quand, au fond, il n’ajoutait rien au sens de sa phrase ».

Quand il est condamné, il remarque surtout la « forme bizarre » du réquisitoire.) Meursault semble surtout incapable de sentiments sophistiqués. La manière dont il répond à l’amour de Marie, son étrange vide émotif lors de l’enterrement de sa mère en témoignent. Mais c’est que Meursault n’est pas un « roseau pensant » : il se contente d’exister, et d’exister pleinement, sans mettre entre lui et le monde la moindre barrière de principe, le moindre a priori. Son appartenance fusionnelle au monde se traduit par son amour de la nature, un attachement fondamental à la mer. Ainsi, Meursault n’est pas un personnage vide, malgré les apparences. Si on peut le qualifier de lacunaire (il « méconnaît les règles les plus essentielles » de la société), on ne peut le considérer comme vide.

 Romand, en apparences, n’est, lui, certainement pas « vide ». On le considère pendant des années comme le médecin et chercheur à l’OMS qu’il déclarait être, alors qu’il avait mis un terme à ses études de médecine après deux années. Pendant dix-huit ans, sa famille et ses amis ont cru à ce personnage. En fait, tout ce temps, alors qu’il devait être au travail, Romand passait son temps sur des ères d’autoroutes, ou à errer dans les forêts. Un immense pan de son existence n’a donc aucun contenu, et ne consiste qu’en une matière vide : le temps. C’est cet aspect-là qui a le plus intéressé Carrère : « C’est sur ce vide-là que j’avais envie d’écrire, sur ce qui pouvait tourner dans sa tête pendant les journées passées sur des parkings d’autoroute. J’ai essayé d’encadrer ce vide pour que le lecteur perçoive intimement ce que c’était que de vivre dans ce monde vide et blanc ». (entretien avec l’Express).

Selon Carrère, Romand n’avait, pour ainsi dire, pas plus de corps que de diplôme de médecine : en évoquant sa vie sexuelle pauvre, le journaliste dit de Romand que «  c’était un homme non touché, non caressé. A la fin, il allait voir des masseuses pour enfin avoir un corps ». Carrère renchérit : « Oui, il allait dans des salons de massage et il avait l’impression d’exister un peu ». Tout le contraire de Meursault qui, lui, est avant tout un corps, un récepteur sensible des éléments cosmiques (les étoiles, le soleil) et des choses de l’amour (les nuits avec Marie).

 
 

Date de dernière mise à jour : 03/04/2021

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