Analyse linéaire, René Char, Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos, parcours bac «Les Mémoires d’une âme»

Problématique : En quoi ce texte est-il un hommage à la résistance? La poésie engagée autobiographique nous permet d’associer ce texte au parcours bac «Les Mémoires d’une âme»

Rene char

Exercices sur le parcours bac "Mémoires d'une âme", les études linéaires; Evaluez votre niveau, testez vos connaissances -Progressez avec les corrigés

Exercices 2 4

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances -Progressez avec les corrigés

Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos René Char

Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos
René Char

Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne.
Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.
 

 Problématique : En quoi ce texte est-il un hommage à la résistance? 

Etude linéaire 
Introduction 

René  Char  est  un  auteur  français  né  en  1907  et  mort  en  1988
Les  Feuillets  d’Hypnos comprennent 237 textes écrits au maquis durant l’occupation allemande en 1943 et 1944, il est membre de la résistance -  Hypnos est dans la mythologie le Dieu du Sommeil, le veilleur qui attend l’aube et celui qui attend la lumière. Ils sont dédiés à Albert Camus.
 Le fragment 128 est  un poème en prose, le plus long du recueil : il raconte l’arrivée de soldats nazis dans un petit village du sud de la France dans lequel un résistant se cache. 
 Problématique :
En quoi ce texte est-il un hommage à la résistance? 
Plan
Mouvement 1 : « Le boulanger… commença l’épreuve ». 
Une anecdote, une histoire vraie dans le respect du schéma narratif
Mouvement 2 : « Les habitants furent jetés… cette échéance »
Le lieu de l’épreuve
Mouvement 3 : « Alors apparut … rompre »
Victoire de la solidarité sur la barbarie : la résolution du conflit
Mouvement 4 : la dernière phrase 
Amitié, reconnaissance et héroïsme 

Mouvement 1 : « Le boulanger… commença l’épreuve ».  Une anecdote, une histoire vraie dans le respect du schéma narratif

 Analyse linéaire
Mouvement 1 : « Le boulanger… commença l’épreuve ». 
Une anecdote, une histoire vraie dans le respect du schéma narratif


Le récit se met en place comme en témoignent les imparfaits et le passés simple « avait », « était », « tenaient », « commença ». 
La première phrase présente la situation initiale, le cadre spatial, « village », temporel, « dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà… ». 
Les personnages sont les villageois dont le boulanger et les occupants allemands »deux compagnies de SS et un détachement de miliciens ». 
L’action est évoquée en rythme saccadé « assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger ». L’énumération est évocatrice de la violence nazie. Le rythme est rapide dès l’arrivée des SS et des miliciens, l’image poétique « dégrafé les rideaux de fer » peut surprendre le lecteur. L’utilisation des armes est disproportionnée par rapport au petit village « le village était assiégé » suggérant l’impuissance des villageois face à la violence des nazis.  
L’élément perturbateur annoncé au passé simple est introduit par le connecteur logique « alors ». 

Mouvement 2 : « Les habitants furent jetés… cette échéance » Le lieu de l’épreuve

Mouvement 2 : « Les habitants furent jetés… cette échéance »
Le lieu de l’épreuve


Ce deuxième mouvement s’ouvre sur la violence des SS et le discours indirect libre « les habitant furent sommés de se rassembler sur la place centrale ». La parole est violente. Les nazis s’en prennent aux plus faibles « un vieux » qui verra sa grange exploser « sous l’effet d’une  bombe ». Les châtiments sont expéditifs. 
Le lecteur découvre un nouveau personnage « Je » qui désigne l’auteur, le narrateur et le personnage. Nous sommes donc en présence d’une autobiographie. René Char témoigne de ce qu’il a vécu « depuis quatre heures j’étais éveillé ». 
« Marcelle », un nom propre pour désigner une personne réelle, apparait dans le texte. Le discours est narrativisé « Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte ». Le « Je » est en position d’attente, de prisonnier, « j’avais reconnu l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne », la scène est vue au travers de son regard. Il entre en résistance, « une résistance armée efficace », « Je pouvais suivre de ma fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants ». 
Le lecteur est en droit de supposer que le narrateur fait partie d’un mouvement de résistants « pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. A quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis ». Les verbes au conditionnel ont valeur de futur dans le passé, ils expriment la confiance du capitaine envers ses hommes. Le narrateur est leur chef et il se retrouve isolé dans le village traqué par les SS. « Où est-il ? » et protégé par les villageois, Marcelle, le maçon. 
La communauté des résistants est présente à travers le pronom personnel possessif «  les miens ». 
Les nazis décident de s’acharner sur un homme « un jeune maçon désigné à leurs tortures ». La violence des agresseurs est physique et morale, coups et injures, « Des coups me parvenaient ponctués d’injures ». La violence est suggérée par l’adjectif épithète détaché « hurlante » et la métonymie  une voix au lieu d’un homme, « une voix se penchait hurlante », la force du hurlement assomme le maçon. 
Le discours direct  « où est-il ? » et l’impératif « conduis-nous » renforcent la violence des SS, puis le silence  (champ lexical du silence : "bâillonné", "chuchoter", "suivie de silence", "se tairait")  qui contraste avec « la voix hurlante ». Les phrases sont courtes et percutantes, enrichies par les allitérations en « K », en « P », « Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir ». 
Les sonorités rythment la colère du narrateur face à cette scène de torture avec l’assonance en « A » et les allitérations en « R » et en « S » dans la personnification  : « une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse ». 
L’allitération suivante en « M » souligne le contact de la main avec l’arme exprimé sous la forme d’une personnification : « Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée ». 
Le destin du narrateur semble joué comme le souligne le verbe « calculais » et l’adverbe de manière « fatalement ». Pourtant une rupture intervient dans le récit par l’adverbe « alors » et le passé simple « apparut ». 
 

Mouvement 3 : « Alors apparut … rompre » Victoire de la solidarité sur la barbarie : la résolution du conflit

Mouvement 3 : « Alors apparut … rompre »
Victoire de la solidarité sur la barbarie : la résolution du conflit


« Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards ». La métaphore filée de la foule est identifiée à une « marée ». Elle met en avant le nombre des habitants qui déferlent sur les soldats et leur force qui les chasse. «Jaillissait ; marée ; ruisselant» = c’est la métaphore de l’eau, elle est le symbole de la solidarité
De dominés, ils deviennent dominants en repoussant les SS sauvant ainsi le maçon  et le narrateur chef des résistants sans céder à la panique comme le suggèrent les expressions, « suivant un plan concerté », l’oxymore « ils se hâtaient sans hâte », « les paralysant en toute bonne foi » et « avec une prudence infinie ». 
On retrouve le champ lexical de l’unité, de la solidarité « marée », « rassemblement », « plan concerté ». L’union l’emporte sur la violence dans un acte pacifiste.  Une métonymie est employée «yeux bons et anxieux», elle représente les villageois qui vont se taire et vont apprendre au narrateur caché que le danger est passé. On note les pluriels qui les désignent et les unissent. « des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre » = la comparaison contribue à mettre le peuple en avant du point de vue épique, la lumière est le symbole de la fraternité. 
« Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre » : on voit que les sentiments dominants sont l’amour et la douceur, le lecteur ressent les émotions partagées. La métaphore du fil, « par mille fils » connote l’union dans la fraternité. 
 

Mouvement 4 : la dernière phrase  Amitié, reconnaissance et héroïsme 

Mouvement 4 : la dernière phrase 
Amitié, reconnaissance et héroïsme 


La dernière phrase conjugue l’amitié, la reconnaissance et l’héroïsme. L’amitié a permis ce silence grâce auquel il n’a pas été découvert. 
L’expression finale « Bien au-delà du sacrifice » exprime la reconnaissance totale, la préposition « au-delà » renforcée par l’adverbe « bien » suggère l’héroïsme de cette amitié. 
Le narrateur éprouve de la confiance et une gratitude qui confine à l’amour, à un amour absolu qui dépasse l’engagement des résistants comme le suggèrent le complément circonstanciel de manière « farouchement » et l’allitération en « S » : « J’ai aimé farouchement mes semblables ce jour- là » et qui va « au-delà du sacrifice ».  Les expressions sont représentatives d’un lyrisme exalté. 
Ce texte accorde une place privilégiée aux sensations, aux émotions et aux sentiments qui va jusqu’au lyrisme à la fin du fragment. Du récit d’une anecdote historique, on passe ainsi au poème en prose qui magnifie l’évocation de cet épisode. 

Conclusion
Le poète René Char écrit un poème en prose emblématique de la littérature 
du maquis. Ce texte entre poésie et récit nous présente le courage des anonymes qui ont joué un rôle important lors de la victoire de 1944. Le poète veut leur rendre hommage : ils lui ont sauvé la vie. Ce texte poétique est autobiographique, il partage avec le lecteur son témoignage de capitaine dans la résistance 
Ce texte mêle le narratif au poétique : en effet, s'il évoque une anecdote vécue par René Char et tirée de l'histoire de la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale, cette évocation se fait souvent par le biais de mécanismes propres à la poésie : métonymies, métaphores, oxymore, sonorités, allitérations, assonances. 


Ouverture
Ce poème en prose associe récit et poésie dans le partage de l’expérience de la résistance et de la guerre avec le lecteur, la poésie engagée autobiographique nous permet d’associer ce texte au parcours bac «  Les Mémoires d’une âme » 

Dissertations, séquence bac poésie

Victor hugo

Dissertations, objet d'étude la poésie, programme EAF 2022/2023 

Dissertations, Programme bac de français 2023 Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle Hugo, "Les Contemplations", livres I à IV / parcours : Les Mémoires d'une âme. Baudelaire, Les Fleurs du Mal parcours : Alchimie poétique : la boue et l'or. Apollinaire, "Alcools" / parcours : Modernité poétique 

Etude du parcours bac, Victor Hugo, les Contemplations, "Mémoires d'une âme" 

Etude du parcours bac, Victor Hugo, les Contemplations, "Mémoires d'une âme" - une autobiographie poétique sous le signe de la mémoire. Un mouvement esthétique, le romantisme

Les ressources sur Les Contemplations de Victor Hugo, parcours bac "Mémoires d'une âme"

Date de dernière mise à jour : 16/12/2022

Ajouter un commentaire