Etude linéaire, Stendhal, Le Rouge et le noir, Première partie, Ch4

«En approchant de son usine » à « son livre qu’il adorait» Problématique En quoi cet extrait propose t’-il un portrait complexe de Julien ?

Stendhal le rouge 2

Stendhal

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Lecture du texte

En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds de haut, à cheval sur l’une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.

Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche comme il tombait.

« Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. »

Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait.

 

Mouvement premier, un personnage en conflit avec son milieu. Mouvement deuxième, la chute du héros. Une oppression théâtralisée

Introduction

Stendhal 7Le Rouge et le Noir est un roman réaliste écrit par Henri Beyle dit Stendhal. Il y raconte l’ascension et la chute d’un personnage ambitieux, Julien Sorel.

Notre extrait se situe au chapitre IV de la première partie du livre. C’est la première apparition du héros, Julien Sorel dans le cadre de la scierie familiale.

Problématique

En quoi cet extrait propose t’-il un portrait complexe de Julien ?

Mouvements

Mouvement 1 : lignes 1 à 10 : un portrait en action : un personnage en conflit avec son milieu

Mouvement 2 : lignes 11 à la fin : chute du héros : une oppression théâtralisée

Le portrait est en action et la présentation de Julien, théâtralisée

Mouvement 1

Stendhal 8Stendhal ne présente pas directement son personnage principal, il en retarde l’apparition à travers la figure paternelle à la recherche de son fils Julien. Le portrait est en action et la présentation de Julien, théâtralisée. La première phrase place le personnage dans son milieu d’origine, la paysannerie ouvrière suggérée par la scierie : « En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien ».

On devine un père brutal envers son fils, il crie pour le réprimander et il n’y aucune amorce de communication : « de sa voix de stentor ». La référence à ce guerrier grec chargé de crier lors de la guerre de Troie de sa puissante voix insiste sur la violence verbale du père. Julien reste sourd, « personne ne répondit ». 

Des lignes 2 à 4, nous découvrons la zone d’équarrissage des « troncs de sapins », que les « fils ainés » travaillent à la hache. Les frères sont qualifiés par la périphrase « d’espèces de gérants » et incarnent la force par le travail effectué « armés de lourdes haches », « équarrissaient », « les troncs de sapin qu’ils allaient porter à la scie ». Ils ne sont pas nommés mais seulement assimilés au symbole de la force,  ce qui n’est pas sans rappeler les héros mythologiques. Ils sont aussi désignés métonymiquement par leur hache accentuant ainsi leur virilité de bûcheron exercée avec précision dans leurs tâches répétitives « chaque coup de leur hache ».

Puis dès les lignes 5 et 6, nous pénétrons dans le hangar où se trouve « la scie », pièce centrale de l’usine. Toute la première partie du texte se situe donc en bas, au niveau du sol. Les verbes d’action « se dirigea », « chercha », au passé simple traduisent les mouvements furtifs du père toujours à la recherche de Julien. Mais en vain, « il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper ».

C’est en hauteur « à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur une des pièces de la toiture » que se trouve Julien, lignes 6 et 7. La position spatiale de celui-ci est symbolique. Il se trouve en hauteur comme s’il était au-dessus intellectuellement parlant. On note une double opposition : entre le haut et le bas puis entre « la place qu’il aurait dû occuper » et l’endroit où il se trouve. La perspective est donc ascensionnelle.

« Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait «. Notons le détachement à droite après la virgule pour mettre en avant l’action de lire par opposition au travail mécanique de la scierie, ligne 7. La symbolique du haut et du bas permet d’opposer Julien aux membres de la famille par son souhait de s’élever socialement. 

Des lignes 8 à 10, le père se révèle inculte, « la lecture est odieuse », il ne sait pas « lire lui-même ». Dès son apparition dans le roman, Julien est en décalage par rapport à son milieu social et aux membres de de sa famille. Les fils ainés n’entendaient pas la voix de leur père car ils étaient absorbés par leur travail avec toute leur force brute alors que Julien lisait. Il n’est pas fait pour les travaux de force : « il a une taille mince ». L’amour paternel est absent du texte, le père Sorel ne peut supporter que son fils soit si différent de lui et de ses frères ainés : « il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince ».

Ce livre est pour Julien « celui de tous qu’il affectionnait le plus ». Cette perte représente le renoncement à  ses rêves de grandeur.

Mouvement 2

Stendhal le rouge 2Deux mondes s’affrontent désormais, l’univers de la scierie et le monde des livres. Des lignes 11 à 12, Julien rejette les valeurs de la productivité et de l’argent, il est perdu dans sa lecture ainsi que le traduit le comparatif « plus que », « l’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père.  Culture et productivité sont deux systèmes de valeurs qui se heurtent dans ce passage où les thématiques sociales dominent.

Les phrases coordonnées par la conjonction de coordination « et » introduites par l’adverbe « enfin » traduisent la détermination brutale du père à attraper son fils comme une vulgaire proie, lignes 12 à 14. L’adverbe de manière « lestement », enrichi de l’expression « malgré son âge et les compléments circonstanciels de lieu, « sur l’arbre », « sur la poutre », renforcent la brutalité et la force démesurée du père.

Les lignes 14 et 15 laissent éclater la violence du père envers son fils qui ne parvient pas à communiquer autrement qu’en criant et en usant de force, comme le montre le champ lexical de la violence : « un coup violent », « fit voler », « un second coup aussi violent », « sur la tête », « calotte », « perdre l’équilibre ». Ses gestes sont la punition infligée à Julien qui en perd son livre « fil voler dans le ruisseau le livre ». La perte du livre dans le ruisseau est une symbolique importante. Julien lit le Mémorial de Sainte-Hélène d’Emmanuel de Las Cases, un ouvrage sur les entretiens avec l’Empereur Bonaparte lors de son exil à Sainte-Hélène.

Stendhal théâtralise, lignes 16 et 17, la scène. La violence de Sorel est insistante, il manque de le tuer. 

Julien Sorel est l’opposé de son père. Il est introduit dans le roman par les paroles paternelles « Et bien paresseux », lignes 18 et 19. Cette apostrophe dépréciative traduit l’opposition des deux hommes, le père et le fils. Le langage familier du père à travers le polyptote, «liras », « livres », « lis-les » souligne la parole redondante, répétitive de Monsieur Sorel. Il semble également employer certains mots pour d’autres comme le montre le terme « scie » pour dire « scierie », « à la bonne heure » à la place de « bonne heure », « quand » pour « à la place de ».

L’opposition des deux hommes apparait d’autant plus nettement que Stendhal théâtralise la scène. La violence se traduit dans le champ lexical « tout sanglant, les larmes aux yeux, la douleur physique », ligne 20 à la fin. Le registre est tragique et fait écho à la violence bestiale du père « force du coup », « tout sanglant », « poste officiel ». Le participe présent « sanglant » renforce la dimension pathétique et rend Julien sympathique. La symbolique du livre tombé revient à la fin de l’extrait. Ce livre est pour Julien « celui de tous qu’il affectionnait le plus ». Cette perte représente le renoncement à  ses rêves de grandeur.

Dans ce portrait contrasté, Stendhal met en scène un héros complexe, produit du romantisme.

Conclusion

Ainsi, cet extrait qui présente Julien pour la première fois met en avant le contraste entre le milieu social et le personnage. Dans ce portrait contrasté, Stendhal met en scène un héros complexe, produit du romantisme.

Ce passage est annonciateur de la suite du roman car après l’ascension fulgurante de Julien, on assiste à sa chute.

Les ressources scolaires : Stendhal, le Rouge et le Noir

EAF 2023, séquence roman Abbé Prévost, Manon Lescaut, Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, la Peau de chagrin, Colette Sido

Date de dernière mise à jour : 20/02/2023

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