Le Rouge et le noir, Stendhal, Julien Sorel, « héros » atypique, l’amour ambitieux, enjeux romanesques et politiques

Stendhal le rouge

Stendhal

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Comprendre le parcours, le personnage de roman, esthétiques et valeurs

Le programme du bac de français 2022

Classe de première de la voie générale

Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Stendhal, "Le Rouge et Noir" / parcours : Le personnage de roman, esthétiques et valeurs.

 

 

Comprendre le parcours, le personnage de roman, esthétiques et valeurs 

Il  s'agit d'étudier et de comprendre les valeurs qu'incarnent les personnages du roman de Stendhal. 

Exemples, esthétiques et valeurs du 19è siècle sont incarnées par Julien Sorel, le réalisme et le romantisme 

Autre fiche bac sur le réalisme 

Dissertation

Dans quelle mesure peut-on dire que Julien Sorel est un personnage romantique ?
 

 

 

Exemple d'une dissertation sur des œuvres, objet d'étude, le roman, au programme au bac de français  pour la série générale

Dissertation sur les Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar

Le programme du bac de français 2022

Classe de première de la voie générale -

Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

 

Dissertation, objet d'étude le roman

A consulter également 

Le romancier doit-il nécessairement faire de ses personnages des êtres extraordinaires ? Vous répondrez à la question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.

 

 

 StendhalLe Rouge et le noir (1830).

Julien Sorel, de l’ambitieux à l’amoureux.

 

Organiser la réflexion

 Document complémentaire

sur le Rouge et le noir

 

Les questions à se poser 

En quoi le roman de Stendhal est-il représentatif des mutations sociales du début du XIXe siècle ?Julien Sorel est  représentatif de la société post-révolutionnaire, qui voit l’avènement de l’Ancien Régime sous la Restauration, et la montée en puissance de la classe bourgeoise, tandis que les hommes du peuple tentent de se frayer un chemin dans ce nouveau monde.

En quoi Le Rouge et le noir est-il un roman d’apprentissage ?

Le roman d'apprentissage est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au xviiie siècle.  On parle aussi de « roman initiatique » ou de « conte initiatique ». 

Un roman d'apprentissage a pour thème le cheminement évolutif d'un héros, souvent jeune, jusqu'à ce qu'il atteigne l'idéal de l'Homme accompli et cultivé. Le héros découvre en général un domaine particulier dans lequel il fait ses armes, puis c'est une conception de la vie qu'il se forge progressivement. Derrière l'apprentissage d'un domaine, le jeune héros découvre les grands événements de l'existence : la mort, l'amour, la haine, l'altérité... Ainsi, dans L'Éducation sentimentale de Flaubert, le jeune Frédéric, en réfléchissant sur les sentiments qu'il porte à Mme Arnoux, se construit une idée de l'existence. Outre ceux de Flaubert, les héros de Stendhal (Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir) ou de Tolstoï (Pierre à la bataille de Borodino dans Guerre et Paix) sont élaborés pour être à la fois ridicules et touchants, et, derrière la moquerie, le roman d'apprentissage revêt toujours un certain caractère autobiographique

Signification du titre 

le rouge symbolise l'armée et le noir le clergé. Ainsi duranttout le roman, le protagoniste hésite entre l'armée et sa passion pour Napoléon, et le clergé, qui lui a pemis d'effectuer ses études et a donc favorisé son ascension sociale. 

Montrez le réalisme stendhalien

Julien Sorel est-il un personnage romantique ?

Organiser les commentaires littéraires

Sélection de passages à étudier 

Julien Sorel, « héros » atypique

Chapitre 4 (première partie) : « Un père et un fils », « En approchant de son usine […] jusqu’au fond de son âme ».

Julien Sorel, l’amour ambitieux 

Chapitre 15 (première partie), « Le chant du coq », « A peine fut-on assis au jardin […] brillant avec les femmes ».

 Les enjeux romanesques et politiques de la scène de l’épée

Chapitre 17 (deuxième partie), « Une vieille épée », « Le troisième jour […] Henri III ».

 Le plaidoyer de Julien : la condamnation de la Restauration

Chapitre 41 (deuxième partie), « Le Jugement », « Messieurs les jurés […] il était deux heures un quart ».

Lecture cursive possible 

Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard (1958).

Lectures complémentaires 

Balzac, Le Père Goriot (1835) ; Alexandre Dumas, La Reine Margot (1845) ; Zola, Au Bonheur des dames (1882) ; Maupassant, Bel-Ami (1885).

Dissertation : 

Dans Le Rouge et le noir, Stendhal écrit : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. ». Cette conception vous paraît-elle représentative de vos lectures du Guépard et du Rouge et le Noir ?

A consulter pour bien gérer le sujet le document complémentaire sur le réalisme stendhalien

 

Problématiser autour du personnage

Ressources complémentaires, lettres.ac-Versailles

 

 

Ressources complémentaires, Gallica

Le Rouge et le noir
Portrait de Stendhal par Nadar
Portrait de Stendhal par Vallotton
L’Art et la vie de Stendhal, biographie par A.-M. Collignon
Recueil d’articles relatifs à Stendhal
Portrait de Stendhal, Félix Vallotton, estampe, 1872.

Etude littéraire d'un extrait du roman de Stendhal

Le Rouge et le noir Stendhal

Oeuvre au programme 2022, EAF

 

Support de lecture 

"Il vit Mathilde se promener longuement.... la vertu de Julien fut égale à son bonheur"

Consulter l'analyse proposée 

Commentaire littéraire du passage 

Etude p 50 

Julien Sorel, « héros » atypique Chapitre 4 (première partie) : « Un père et un fils », « En approchant de son usine […] jusqu’au fond de son âme ».

 

Chapitre 4 : « Un père et un fils ».

 

En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds de haut, à cheval sur l’une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse : il ne savait pas lire lui-même.

Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche comme il tombait.

« Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. »

Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait.

« Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d’entendre cet ordre. Son père qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre les noix, et l’en frappa sur l’épaule. À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu’il va me faire ! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène.

Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. […] Objet des mépris de tous à maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.

Il n’y avait pas un an que sa jolie figure commençait à lui donner quelques voix amies parmi les jeunes filles. Méprisé de tout le monde, comme un être faible, Julien avait adoré ce vieux chirurgien-major qui un jour osa parler au maire au sujet des platanes.

Ce chirurgien payait quelquefois au père Sorel la journée de son fils, et lui enseignait le latin et l’histoire, c’est-à-dire ce qu’il savait d’histoire, la campagne de 1796 en Italie. En mourant, il lui avait légué sa croix de la Légion d’honneur, les arrérages de sa demi-solde, et trente ou quarante volumes, dont le plus précieux venait de faire le saut dans le ruisseau public, détourné par le crédit de M. le Maire.

À peine entré dans la maison, Julien se sentit l’épaule arrêtée par la puissante main de son père ; il tremblait, s’attendant à quelques coups.

— Réponds-moi sans mentir, lui cria aux oreilles la voix dure du vieux paysan, tandis que sa main le retournait comme la main d’un enfant retourne un soldat de plomb. Les grands yeux noirs et remplis de larmes de Julien se trouvèrent en face des petits yeux gris et méchants du vieux charpentier, qui avait l’air de vouloir lire jusqu’au fond de son âme.

Julien Sorel, l’amour ambitieux  Chapitre 15, « Le chant du coq ».

 

Julien Sorel, l’amour ambitieux 

Chapitre 15, « Le chant du coq ».

À peine fut-on assis au jardin, que, sans attendre une obscurité suffisante, Julien approcha sa bouche de l’oreille de Mme de Rênal, et au risque de la compromettre horriblement, il lui dit :

— Madame, cette nuit à 2 heures, j’irai dans votre chambre, je dois vous dire quelque chose.

Julien tremblait que sa demande ne fût accordée ; son rôle de séducteur lui pesait si horriblement que s’il eût pu suivre son penchant, il se fût retiré dans sa chambre pour plusieurs jours, et n’eut plus vu ces dames. Il comprenait que, par sa conduite savante de la veille, il avait gâté toutes les belles apparences du jour précédent, et ne savait réellement à quel saint se vouer.

Mme de Rênal répondit avec une indignation réelle, et nullement exagérée, à l’annonce impertinente que Julien osait lui faire. Il crut voir du mépris dans sa courte réponse. […] La conversation fut sérieuse, et Julien s’en tira fort bien, à quelques moments de silence près, pendant lesquels il se creusait la cervelle. Que ne puis-je inventer quelque belle manœuvre, se disait-il, pour forcer Mme de Rênal à me rendre ces marques de tendresse non équivoques qui me faisaient croire il y a trois jours qu’elle était à moi !

Julien était extrêmement déconcerté de l’état presque désespéré où il avait mis ses affaires. Rien cependant ne l’eût plus embarrassé que le succès.

Lorsqu’on se sépara à minuit, son pessimisme lui fit croire qu’il jouissait du mépris de Mme Derville, et que probablement il n’était guère mieux avec Mme de Rênal.

De fort mauvaise humeur et très humilié, Julien ne dormit point. […] Il se fatigua le cerveau à inventer des manœuvres savantes, un instant après il les trouvait absurdes ; il était en un mot fort malheureux quand deux heures sonnèrent à l’horloge du château.

Ce bruit le réveilla comme le chant du coq réveilla saint Pierre. Il se vit au moment de l’évènement le plus pénible. Il n’avait plus songé à sa proposition impertinente, depuis le moment où il l’avait faite ; elle avait été si mal reçue !

Je lui ai dit que j’irais chez elle à deux heures, se dit-il en se levant, je puis être inexpérimenté et grossier comme il appartient au fils d’un paysan. Mme Derville me l’a fait assez entendre, mais du moins je ne serai pas faible.

[…] Il ouvrit la porte d’une main tremblante et en faisant un bruit effroyable.

Il y avait de la lumière, une veilleuse brûlait sous la cheminée ; il ne s’attendait pas à ce nouveau malheur. En le voyant entrer Mme de Rênal se jeta vivement hors de son lit. — Malheureux ! s’écria-t-elle. Il y eut un peu de désordre. Julien oublia ses vains projets et revint à son rôle naturel ; ne pas plaire à une femme si charmante lui parut le plus grand des malheurs. Il ne répondit à ses reproches qu’en se jetant à ses pieds, en embrassant ses genoux. Comme elle lui parlait avec une extrême dureté, il fondit en larmes.

Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer. En effet, il devait à l’amour qu’il avait inspiré, et à l’impression imprévue qu’avaient produite sur lui des charmes séduisants, une victoire à laquelle ne l’eût pas conduit toute son adresse si maladroite.

Mais, dans les moments les plus doux, victime d’un orgueil bizarre, il prétendit encore jouer le rôle d’un homme accoutumé à subjuguer des femmes : il fit des efforts d’attention incroyables pour gâter ce qu’il avait d’aimable. Au lieu d’être attentif aux transports qu’il faisait naître, et aux remords qui en relevaient la vivacité, l’idée du devoir ne cessa jamais d’être présente à ses yeux. Il craignait un remords affreux et un ridicule éternel, s’il s’écartait du modèle idéal qu’il se proposait de suivre. En un mot, ce qui faisait de Julien un être supérieur fut précisément ce qui l’empêcha de goûter le bonheur qui se plaçait sous ses pas. C’est une jeune fille de seize ans, qui a des couleurs charmantes, et qui, pour aller au bal, a la folie de mettre du rouge.

Mortellement effrayée de l’apparition de Julien, Mme de Rênal fut bientôt en proie aux plus cruelles alarmes. Les pleurs et le désespoir de Julien la troublaient vivement.

Même, quand elle n’eut plus rien à lui refuser, elle repoussait Julien loin d’elle, avec une indignation réelle, et ensuite se jetait dans ses bras. Aucun projet ne paraissait dans toute cette conduite. Elle se croyait damnée sans rémission, et cherchait à se cacher la vue de l’enfer, en accablant Julien des plus vives caresses. En un mot, rien n’eût manqué au bonheur de notre héros, pas même une sensibilité brûlante dans la femme qu’il venait d’enlever, s’il eût su en jouir. Le départ de Julien ne fit point cesser les transports qui l’agitaient malgré elle, et ses combats avec les remords qui la déchiraient.

Mon Dieu ! être heureux, être aimé, n’est-ce que ça ? Telle fut la première pensée de Julien, en rentrant dans sa chambre. Il était dans cet état d’étonnement et de trouble inquiet où tombe l’âme qui vient d’obtenir ce qu’elle a longtemps désiré. Elle est habituée à désirer, ne trouve plus quoi désirer, et cependant n’a pas encore de souvenirs. Comme le soldat qui revient de la parade, Julien fut attentivement occupé à repasser tous les détails de sa conduite. N’ai-je manqué à rien de ce que je me dois à moi-même ? Ai-je bien joué mon rôle ?

Et quel rôle ? celui d’un homme accoutumé à être brillant avec les femmes.

 Les enjeux romanesques et politiques de la scène de l’épée Chapitre 17 (deuxième partie), « Une vieille épée », « Le troisième jour […] Henri III ».

Chapitre 17, « Une vieille épée ».

Le troisième jour, comme Mlle de La Mole s’obstinait à ne pas le regarder, Julien la suivit après dîner, et évidemment malgré elle, dans la salle de billard.

— Eh bien, monsieur, vous croyez donc avoir acquis des droits bien puissants sur moi, lui dit-elle avec une colère à peine retenue, puisque en opposition à ma volonté bien évidemment déclarée, vous prétendez me parler ?… Savez-vous que personne au monde n’a jamais tant osé ?

Rien ne fut plaisant comme le dialogue de ces deux jeunes amants ; sans s’en douter ils étaient animés l’un contre l’autre des sentiments de la haine la plus vive. Comme ni l’un ni l’autre n’avait le caractère endurant, que d’ailleurs ils avaient des habitudes de bonne compagnie, ils en furent bientôt à se déclarer nettement qu’ils se brouillaient à jamais.

— Je vous jure un secret éternel, dit Julien, j’ajouterais même que jamais je ne vous adresserai la parole, si votre réputation ne pouvait souffrir de ce changement trop marqué. Il salua avec respect et partit.

Il accomplissait sans trop de peine ce qu’il croyait un devoir ; il était bien loin de se croire fort amoureux de Mlle de La Mole. Sans doute il ne l’aimait pas trois jours auparavant, quand on l’avait caché dans la grande armoire d’acajou. Mais tout changea rapidement dans son âme, du moment qu’il se vit à jamais brouillé avec elle.

Sa mémoire cruelle se mit à lui retracer les moindres circonstances de cette nuit qui dans la réalité l’avait laissé si froid.

Dans la nuit même qui suivit la déclaration de brouille éternelle, Julien faillit devenir fou en étant obligé de s’avouer qu’il aimait Mlle de La Mole.

Des combats affreux suivirent cette découverte : tous ses sentiments étaient bouleversés.

Deux jours après, au lieu d’être fier avec M. de Croisenois il l’aurait presque embrassé en fondant en larmes.

L’habitude du malheur lui donna une lueur de bon sens, il se décida à partir pour le Languedoc, fit sa malle et alla à la poste.

Il se sentit défaillir quand, arrivé au bureau des malles-poste, on lui apprit que, par un hasard singulier, il y avait une place le lendemain dans la malle de Toulouse. Il l’arrêta et revint à l’hôtel de La Mole, annoncer son départ au marquis.

M. de La Mole était sorti. Plus mort que vif, Julien alla l’attendre dans la bibliothèque. Que devint-il en y trouvant Mlle de La Mole ?

En le voyant paraître, elle prit un air de méchanceté auquel il lui fut impossible de se méprendre.

Emporté par son malheur, égaré par la surprise, Julien eut la faiblesse de lui dire, du ton le plus tendre et qui venait de l’âme : — Ainsi, vous ne m’aimez plus ?

— J’ai horreur de m’être livrée au premier venu, dit Mathilde en pleurant de rage contre elle-même.

— Au premier venu ! s’écria Julien, et il s’élança sur une vieille épée du Moyen Âge, qui était conservée dans la bibliothèque comme une curiosité.

Sa douleur, qu’il croyait extrême au moment où il avait adressé la parole à Mlle de La Mole, venait d’être centuplée par les larmes de honte qu’il lui voyait répandre. Il eût été le plus heureux des hommes de pouvoir la tuer.

Au moment où il venait de tirer l’épée, avec quelque peine, de son fourreau antique, Mathilde, heureuse d’une sensation si nouvelle, s’avança fièrement vers lui ; ses larmes s’étaient taries.

L’idée du marquis de La Mole, son bienfaiteur, se présenta vivement à Julien. Je tuerais sa fille ! se dit-il, quelle horreur ! Il fit un mouvement pour jeter l’épée. Certainement, pensa-t-il, elle va éclater de rire à la vue de ce mouvement de mélodrame : il dut à cette idée le retour de tout son sang-froid. Il regarda la lame de la vieille épée curieusement et comme s’il y eût cherché quelque tache de rouille, puis il la remit dans le fourreau, et avec la plus grande tranquillité la replaça au clou de bronze doré qui la soutenait.

Tout ce mouvement, fort lent sur la fin, dura bien une minute ; Mlle de La Mole le regardait étonnée : J’ai donc été sur le point d’être tuée par mon amant ! se disait-elle.

Cette idée la transportait dans les plus beaux temps du siècle de Charles IX et de Henri III.

 

 Le plaidoyer de Julien : la condamnation de la Restauration Chapitre 41 (deuxième partie), « Le Jugement », « Messieurs les jurés […] il était deux heures un quart ».

Chapitre 41, « Le Jugement ».

« Messieurs les jurés,

« L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune.

« Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.

« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés… »

Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Mme Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour Mme de Rênal… Mme Derville jeta un cri et s’évanouit.

Une heure sonnait comme les jurés se retiraient dans leur chambre. Aucune femme n’avait abandonné sa place ; plusieurs hommes avaient les larmes aux yeux. Les conversations furent d’abord très vives ; mais peu à peu, la décision du jury se faisant attendre, la fatigue générale commença à jeter du calme dans l’assemblée. Ce moment était solennel ; les lumières jetaient moins d’éclat. Julien, très fatigué, entendait discuter auprès de lui la question de savoir si ce retard était de bon ou de mauvais augure. Il vit avec plaisir que tous les vœux étaient pour lui ; le jury ne revenait point, et cependant aucune femme ne quittait la salle.

Comme deux heures venaient de sonner, un grand mouvement se fit entendre. La petite porte de la chambre des jurés s’ouvrit. M. le baron de Valenod s’avança d’un pas grave et théâtral, il était suivi de tous les jurés. Il toussa, puis déclara qu’en son âme et conscience la déclaration unanime du jury était que Julien Sorel était coupable de meurtre, et de meurtre avec préméditation : cette déclaration entraînait la peine de mort ; elle fut prononcée un instant après. Julien regarda sa montre, et se souvint de M. de Lavalette, il était deux heures et un quart.

 

Classe de première de la voie générale Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Date de dernière mise à jour : 29/11/2022

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