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Commentaire linéaire "Note (motion) d'ordre à propos du ciel de Provence", La Rage de l'expression Francis Ponge

Commentaire linéaire

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Ponge la rage de l expressionPonge


Commentaire linéaire
 "Note (motion) d'ordre à propos du ciel de Provence", La Rage de l'expression de Francis Ponge
"Il s'agit de bien décrire... le seul moyen de sauver ses privilèges"

 

Problématique En quoi ce texte reflète t'-il le double engagement du poète?

Ponge la rage de l expressionIntroduction
Note du 19 juillet 1941 inscrite dans "Note (motion) d'ordre à propos du ciel de Provence" s'insère dans "La Mounine ou note après coup sur un ciel de Provence". Ce texte en fin de recueil "La Rage de l'expression" de Francis Ponge en date de 1952 se consacre aux émotions esthétiques qui ont marqué le  poète lors d'un voyage sur une route de Provence près de la "Mounine". 
Ce texte est en fait une note relative au programme poétique de l'auteur mais pas seulement car le terme de "motion" à terminologie plus politique peut renvoyer à l'engagement du poète à deux niveaux, poétique et politique. 


Problématique 
En quoi ce texte reflète t'-il le double engagement du poète? 


Mouvements 
Mouvement 1

Fondement esthétique des émotions : "Il s'agit de bien décrire le ciel... une loi scientifique, un théorème"
Mouvement 2
Fondement d'une écriture méthodique : "Donc à l'origine, un sanglot... est dans ce problème"
Mouvement 3 
Double engagement du poète : "A noter que j'éprouve les plus grosses difficultés... de sauver ses privilèges" 
 

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Connais-tu le commentaire linéaire "Note d'ordre à propos du ciel de Provence"? 

Mouvement 1  Fondement esthétique des émotions 

Ponge la rage de l expressionMouvement 1 
Fondement esthétique des émotions 


     Dès la première ligne, le poète précise son intention poétique, il s'agit d'une description toujours recommencée d'une émotion esthétique procurée par le ciel de Provence : "Il s'agit de bien décrire ce ciel tel qu'il m'apparut et m'impressionna si profondément". Cette transcription s'apparente à un programme poétique "bien décrire ce ciel". L'italique du verbe à l'infinitif en souligne l'importance. 
     Le deuxième terme en italique "l'explication" est annonciateur de la démarche à suivre. Cette note du journal poétique se déroule commme un programme à suivre : il s'agit dans un premier temps de décrire, ligne 1 puis d'expliquer, ligne 4 : "de cette description, ou à la suite d'elle, surgira en termes simples l'explication de ma profonde émotion", lignes 2 à 4. 
     Les lignes 5 à 7 justifient l'importance d'un tel projet à deux niveaux : la profondeur de l'émotion ressentie est révélatrice "d'une loi esthétique et morale".
     L'intensité de l'impression esthétique valorisée dès le début de la note par l'adverbe intensif "si profondément", ligne 2 en redondance avec l'adjectif "profonde", ligne 4 et l'inflation ligne 8 d'une émotion par "l'intensité" doit pour être réconstituée suivre une chronologie précise : décrire, expliquer qui nécessite pourtant que le poète retourne à l'impression esthétique première afin d'en trouver l'équivalence par l'expression. 
     Mais comment figer avec justesse par les mots la fugitive émotion et retrouver dans le temps de l'écriture l'équivalence du temps de l'émotion? Ce dilemme dépasse l'ambition du programme poétique préalablement défini. 
La nature du sujet est un obstacle pour fixer ce "ciel". Pour le contourner, le poète pose le fondement esthétique de son émotion : "si j'ai été touché, c'est qu'il s'agissait sans doute de la révélation sous cette forme d'une loi esthétique et morale importante", lignes 5 à 7. 
     Par cette subordonnée conjonctive de condition, Ponge annonce une leçon sous la forme "d'une loi" dont il évalue "l'intérêt", ligne 11. Le projet poétique s'oriente vers une morale ainsi que le suggère le champ lexical "loi", "je juge", "scrupules", "dégager". 
La méthode ne repose plus sur une émotion mais sur une morale : "j'ai à dégager cette leçon", ligne 12. La référence à Jean de La Fontaine le confirme dès les lignes 12 et 13 "La Fontaine eût dit cette morale". A la manière du fabuliste, Ponge veut conclure ses poèmes sur une morale. La formule juste est donc la "morale", "ce peut-être aussi bien une loi scientifique, un théorème", lignes 13 et 14. Plus que poète, Ponge se dévoile comme l'artisan d'une loi. 
 

Mouvement 2  Fondement d'une écriture méthodique 

Ponge la rage de l expressionMouvement 2
 Fondement d'une écriture méthodique 


     Il s'agit donc après le fondement esthétique des émotions de trouver le fondement d'une écriture à la hauteur du programme poétique : une écriture méthodique.
    Ligne 15. La conjonction de coordination "Donc" en annonce les différentes étapes. 
L'émotion doit être partagée et compréhensible pour le lecteur et "le sentiment du Beau ne suffit pas à l'expliquer", lignes 16 et 17. "Beau" reste un concept trop vague, trop commun pouvant être remplacé par un autre : "Beau est un mot, qui en remplace un autre". 
     De l'inconsistance reconnue du concept découle une attitude réflexive "il s'agit d'éclaircir cela d'y mettre la lumière, de dégager les raisons", lignes 19 et 20. 
La méthode à suivre est philosophique, l'enjeu est de remonter aux causes pour pouvoir en rendre compte. Ce cheminement philosophique consiste à "dégager les raisons" de l'émotion dans premier temps pour ensuite en dégager "la loi" afin d'en offrir une "co-naissance plus sérieuse", "de faire servir ce paysage à quelque chose d'autre qu'au sanglot esthétique", ligne 21 et 22. 
     La démarche méthodique et philosophique s'ajoute à l'enjeu poétique afin de dépasser le simple lyrisme, l'inconsistance du "sanglot esthétique". 
C'est à la ligne 21 que le poète précise son modèle d'écriture par l'expression "Quelque chose d'autre" qui se précise lignes 22 et 23, il s'agit "de le faire devenir un outil moral, logique, ... de faire faire un pas à l'esprit". Cette phrase fait écho à une autre du recueil de la Rage de l'expression, la quête morale est une visée qui cible une "co-naissance plus sérieuse". Cette aspiration à trouver la bonne démarche ressemble à un bilan "moral". 
     La poésie doit rester fidèle aux choses mais l'engagement langagier se double d'un engagement moral. Cette ambition est clairement exprimée lignes 24 et 25 : "toute ma position philosophique et poétique est dans ce problème". 
 

Mouvement 3  Double engagement du poète 

Ponge la rage de l expressionMouvement 3 
Double engagement du poète 


     L'engagement de l'auteur dans son modèle d'écriture à suivre, soucieuse d'exactitude, de fidélité, d'équivalence se heurte à de nombreuses difficultés : "j'éprouve les plus grosses difficultés", ligne 26, idée encore renforcée par l'infinitif "A noter". 
     L'entreprise inédite de Ponge est singulière, pleine "d'originalité" et "d'étrangeté". Il ressemble au philosophe qui s'applique à sortir les prisonniers de la caverne dans le but de ne plus confondre le reflet des choses avec les choses elles-mêmes. L'effort à fournir pour le poète est aussi celui d'une âme qui se tourne vers ce qu'il y a à voir. Il s'agit de dévoiler ce qui se cache derrière les images "du nombre énorme d'images qui viennent se mettre à ma disposition (et masquer, mettre des masques, à la réalité), lignes 26 à 28. La poésie revendique une vérité, elle s'apparente à une action, elle se fabrique. Dans son atelier littéraire, le poète affirme et réaffirme son engagement qui par les pouvoirs du langage pourrait faire avancer l'homme en le faisant grandir, "un pas vers l'esprit", une ouverture sur le monde dans une plus grande "co-naissance". 
C'est avec la même rage de l'expression "dans l'exactitude scrupuleuse de la description", lignes 32 et 33 que l'écrivain trouve dans sa fabrique littéraire un terrain d'engagement plus politique. Ce double engagement se confirme par le champ lexical "victoire", "militer", "vraiment scientifiquement", "activement". 
     C'est ainsi que se traduit le détournement parodique de la Genèse "Il s'agit une fois de plus de cueillir (à l'arbre de la science) le fruit défendu". Dans le souci de combattre l'obscurantisme au profit des Lumières "n'en déplaise aux puissances d'ombre qui nous dominent, à M. Dieu en particulier", lignes 37 et 38, Ponge tente de réconcilier l'homme avec un monde sans Dieu : "Militer... pour les "lumières" et contre l'obscurantisme". Une menace toujours d'actualité au XXe siècle, un "retour à la barbarie" des guerres. L'écriture Pongienne est une lutte à la fois poétique et politique. 
 

Ponge la rage de l expressionConclusion 
     Ainsi, ce texte reflète le double engagement poétique et politique de l'écrivain. C'est une note essentielle à son journal poétique dans laquelle il expose le fondement esthétique des émotions et celui d'une écriture méthodique. 
Son programme aboutit à un bilan, une visée morale hors de portée de tout lyrisme, de tout subjectivisme pour revendiquer une poésie de l'action au sens d'un combat contre les mots et les maux de l'histoire des hommes. 

Francis Ponge, "La Rage de l'expression". Parcours bac : "Dans l'atelier du poète"

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