Commentaire littéraire d' un extrait du Discours sur le bonheur de Mme du Châtelet

Problématiques possibles: En quoi ce discours fait-il l'apologie des passions? En quoi reflète t'-il l'idéal des lumières?

Inconnu portrait de madame du chatelet a sa table de travail detail chateau de breteuil 001

Discours sur le Bonheur

 

Il faut, pour être heureux, s'être défait des préjugés, être vertueux, se bien porter, avoir des goûts & des passions, être susceptible d'illusions, car nous devons la plupart de nos plaisirs à l'illusion, & malheureux est celui qui la perd. Loin donc de chercher à la faire disparaître par le flambeau de la raison, tâchons d'épaissir le vernis qu'elle met sur la plupart des objets; il leur est encore plus nécessaire que ne le sont à nos corps les soins & la parure.

Il faut commencer par se bien dire à soi-même & par se bien convaincre que nous n'avons rien à faire dans ce monde qu'à nous y procurer des sensations & des sentiments agréables. Les moralistes qui disent aux hommes: réprimez vos passions, & maîtrisez vos désirs, si vous voulez être heureux, ne connoissent pas le chemin du bonheur. On n'est heureux que par des goûts & des passions satisfaites; [je dis des goûts], parce qu'on n'est pas toujours assez heureux pour avoir des passions, & qu'au défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts. Ce seroit donc des passions qu'il faudroit demander à! Dieu, si on osoit lui demander quelque chose; & Le Nôtre avoit grande raison de demander au pape des tentations au lieu d'indulgences.

Mais, me dira-t-on, les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux? Je n'ai! pas la balance nécessaire pour peser en général le bien & le mal qu'elles ont faits aux hommes; mais il faut remarquer que les malheureux sont connus parce qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à raconter leurs malheurs, qu'ils y cherchent des remèdes & du soulagement. Les gens heureux ne cherchent rien, & ne vont point avertir les autres de leur bonheur; les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus.

Voilà pourquoi lorsque deux amants sont raccommodes, lorsque leur jalousie est finie, lorsque les obstacles qui les séparoient sont surmontés, ils ne sont plus propres au théâtre; la pièce est finie pour les spectateurs, & la scène de Renaud à d'Armide n'intéresseroit pas autant qu'elle fait, si le spectateur ne s'attendoit pas que l'amour de Renaud est l'effet d'un enchantement qui doit se dissiper, & que la passion qu'Armide fait voir dans cette scène rendra son malheur plus intéressant. Ce sont les mêmes ressorts qui agissent sur notre ame pour l'émouvoir aux représentations théâtrales & dans les événements de la vie. On connoît donc bien plus l'amour par les malheurs qu'il cause, que par le bonheur souvent obscur qu'il répand sur la vie des hommes. Mais supposons pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d'heureux, je dis qu'elles seraient encore à désirer, parce que c'est la condition sans laquelle on ne peut avoir de grands plaisirs; or, ce n'est la peine de vivre que pour avoir des sensations & des sentiments agréables; & plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer d'être susceptible de passions, à je le répète encore: n'en a pas qui veut.

C'est à nous à les faire servir à notre bonheur, & cela dépend souvent de nous.

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, communément appelée Émilie du Châtelet

Mme du Châtelet (1706-1749)

Nous allons étudier un extrait du Discours sur le bonheur de Mme du Châtelet, la passion.

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, communément appelée Émilie du Châtelet, 1706, 1749.

Les femmes scientifiques à cette époque sont très rares. Emilie du Chatelet travaille à sa passion pour Newton ; elle a traduit ses ouvrages. Elle fréquente d’autres philosophes comme Voltaire qui sera son amant pendant 15 ans.

C’est un auteur qui se pose des questions philosophiques mais cet extrait ne devait pas être publié. Le discours n’était peut-être pas d’elle. Elle ne voulait pas le publier et elle est morte en accouchant.

L'argumentation- L'énonciation et l'adhésion de l'auteur -A qui s'adresse Mme du Chatelet? Se libérer par l'esprit de la religion et des stéréotypes moralistes

I. Apologie des passions

A.L'argumentation du texte

L’expression d’un but, cela s’énonce avec une anaphore : « il faut »

Manière pragmatique de raisonner : elle fait un bilan. Au quotidien, le scientifique prend des notes ; c’est une thèse optimiste, hédoniste, vivre avec intensité.

Discours structuré : « il faut commencer par » ; « ce serait donc » ;  Des connecteurs logiques s'ajoutent à l'organisation du discours. « Mais » ; « on connaît donc » ; « or » ; « il est donc à désirer ».

Les figures de style contribuent à mettre en valeur les idées de l'auteur, nous pouvons mettre ainsi en évidence des antithèses comme «le bien et le mal» ou encore «malheureux» et «heureux», un oxymore, « bonheur obscur ». Deux thèses sont alors en présence, celle du bien et celle du mal. Le discours se construit de manière très méthodique autour de la question du bonheur, il s'agit de poser l'idée que les passions vécues intensément sont la seule façon pour l'homme d'être heureux. Les arguments se multiplient et les citations récurrentes sur cet aspect sont nombreuses, on peut lire, «se bien dire et se bien convaincre», «on n'est heureux que...»,.......

Le syllogisme, argument logique basé sur trois propositions, une majeure, une mineure et une conclusion. L'argument par syllogisme est le suivant: «Mais supposons... passions».

L'ensemble des procédés oratoires sont encore mis en avant par des questions rhétorique comme «les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d'heureux? Et des répétitions qui ont valeur d'un rappel:  «et je le répète encore».

B. L'énonciation et l'adhésion de l'auteur

- Elle a une nouvelle conception des passions. L’énonciation nous fait remarquer un glissement ; elle dit « je », «je le répète encore»... Nous pouvons en outre mettre en évidence la figure de style qui lui permet de valoriser son jugement sous la forme d'une métaphore, «je n'ai  pas la balance nécessaire pour peser le bien et le mal».

. Elle s’implique ligne 17. C’est un discours intime ; on sent le vécu. Réflexion qui s’appuie sur une expérience personnelle.

Elle cherche à généraliser son propos. On note en outre des tournures plus impersonnelles comme «il faut et «on»

C -A qui s'adresse Mme du Chatelet?

-Les hommes en général, la portée de ce discours en ce sens est universelle tout comme la quête du bonheur. «le chemin du bonheur»

Les moralistes et en particulier ceux qui disent aux hommes de «réprimer leurs passions», ceux qui mettent un frein à la recherche et à la quête du bonheur.

A tous ceux qui cherchent le bonheur et à ceux qui ne l'ont encore jamais approché, les malheureux ignorants des bonheurs de ce monde, nous le voyons dans la citation suivante: «qu'ils ont besoin des autres, qu'ils aiment à raconter leurs malheurs...»

II. L'idéal des lumières et le discours sur le bonheur

A. Se libérer par l'esprit

On retrouve  l'idéal du siècle des lumières dans le discours de Mme de Chatelet, en effet, on y voit l'invitation pour l'homme à penser par lui-même et à se libérer des préjugés par la force de l'esprit. L'homme doué d'intelligence doit se défaire des stéréotypes et accéder à une indépendance intellectuelle et une autonomie de penser de façon à mieux gérer sa vie. L'urgence de penser par soi-même se traduit par la formule «il faut commencer par se dire à soi-même et par se bien convaincre que..... «.

B – Se libérer de la religion et des stéréotypes moralistes

- Le bonheur recherché n'est pas céleste mais terrestre. Le salut n'est pas recherché, il ne s'agit pas non plus d'une forme d'ascétisme, de rachat des fautes etc. Les connotations religieuses sont absentes si ce n'est à travers l'antiphrase et le procédé ironique de cette formule: «Il faudrait demander à Dieu, si on osait lui demander quelques chose, et le Nôtre avait grande raison de demander au pape des tentations au lieu d'indulgences».  On retrouve la force ironique des textes dénonciateurs comme ceux de Voltaire, très copieux en antiphrases, figure de rhétorique qui permet de mettre en avant le ironique. Il faut dans la quête du bonheur se soucier de vivre ses passions. Nous avons donc une critique de la religion et une dénonciation des raisonnements moralistes des chrétiens ainsi que des stoiciens qui cherchent toujours à gérer les choses en les maîtrisant ainsi que le suggère la formule « réprimez vos passions et maîtrisez vos désirs».  

C. la  philosophie de L’épicurisme

- L'épicurisme est la philosophie mise en avant dans cet extrait. Il s'agit d'une quête et recherche de plaisirs sous toutes ses formes, proposés par la vie terrestre. Cette philosophie n'est donc pas soucieuse de religion ni de morale, mais simplement de la quête possible d'un bonheur pour l'homme qui vit dans le respect le plus total de sa nature humaine et des plaisirs que cela suppose.

Nous remarquons le champ lexical des plaisirs qui contribue à cet effet d'insister sur le thème récurrent du discours. Nous pouvons citer: «bonheur», «amour», «goût», «sensations et sentiments agréables», «désirs», «désirer»....

 

Date de dernière mise à jour : 19/11/2022

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