Les sujets du bac de français métropole ES, S, session juin, 2006. Alphonse Daudet, les Lettres de mon moulin

Les annales

 

Convaincre, persuader, délibérer : Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, La légende de l'homme à la cervelle d'or.

Les sujets du baccalauréat de français

Métropole, session de juin, séries ES, S 

 

 

 

Objet d'étude : Convaincre, persuader, délibérer.


Texte :

Alphonse Daudet, "La Légende de l'homme à la cervelle d'or" (Lettres de mon moulin, 1866).

 

En 2004, en métropole les bacheliers ont travaillé sur un corpus de textes, séquence théâtre

Bac 2004, sujets de français, séries ES et S, le théâtre et sa représentation, corpus, Molière, Beckett, Ionesco et Satgé

En 2003, bac métropole session de septembre, les séries ES, S ont travaillé sur le biographique avec Pierre Loti :  Fantôme d'Orient (1891)

Au bac 2002, les bacheliers des séries ES et S, à la session de juin ont travaillé sur un corpus de textes sur l'argumentation, convaincre, persuader, délibérer avec  La Bruyère, Damilaville, Voltaire et Giraudoux 

 

A la dame qui demande des histoires gaies.

En lisant votre lettre, madame,
j'ai eu comme un remords. Je m'en suis voulu de la couleur un peu trop
demi-deuil de mes historiettes, et je m'étais promis de vous offrir aujourd'hui
quelque chose de joyeux, de follement joyeux.
Pourquoi serais-je triste,
après tout ? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline
lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. Autour de chez moi tout
n'est que soleil et musique ; j'ai des orchestres de culs-blancs1, des orphéons2
de mésanges ; le matin, les courlis3 qui font "Coureli ! coureli !", à midi, les
cigales, puis les pâtres qui jouent du fifre4, et les belles filles brunes qu'on
entend rire dans les vignes... En vérité, l'endroit est mal choisi pour broyer
du noir ; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose et des
pleins paniers de contes galants.
Eh bien, non ! Je suis encore trop près de
Paris. Tous les jours, jusque dans mes pins, il m'envoie les éclaboussures de
ses tristesses... A l'heure même où j'écris ces lignes, je viens d'apprendre la
mort misérable du pauvre Charles Barbara5; et mon moulin en est tout en deuil.
Adieu les courlis et les cigales ! Je n'ai plus le cœur à rien de gai... Voilà
pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin6 que je m'étais promis de vous
faire, vous n'aurez encore aujourd'hui qu'une légende mélancolique.

Il était une fois un homme qui avait une cervelle d'or; oui, madame, une cervelle
toute en or. Lorsqu'il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne
vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant
et grandit au soleil comme un beau plant d'olivier; seulement sa grosse tête
l'entraînait toujours, et c'était pitié de le voir se cogner à tous les meubles
en marchant... Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d'un perron et vint
donner du front contre un degré7 de marbre où son crâne sonna comme un lingot.
On le crut mort, mais en le relevant, on ne lui trouva qu'une légère blessure,
avec deux ou trois gouttelettes d'or caillées dans ses cheveux blonds. C'est
ainsi que les parents apprirent que l'enfant avait une cervelle en or.
La chose fut tenue secrète; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps
en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte
avec les garçonnets de la rue.
– On vous volerait, mon beau trésor ! lui
répondait sa mère...
Alors le petit avait grand'peur d'être volé; il
retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimballait8 lourdement d'une
salle à l'autre...
A dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le
don monstrueux qu'il tenait du destin : et, comme ils l'avaient élevé et nourri
jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. L'enfant n'hésita
pas; sur l'heure même, – comment ? par quels moyens ? la légende ne l'a pas dit,
– il s'arracha du crâne un morceau d'or massif, un morceau gros comme une noix,
qu'il jeta fièrement sur les genoux de sa mère... Puis, tout ébloui des
richesses qu'il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il
quitta la maison paternelle et s'en alla par le monde en gaspillant son trésor.

Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l'or sans compter, on
aurait dit que sa cervelle était inépuisable... Elle s'épuisait cependant, et à
mesure on pouvait voir les yeux s'éteindre, la joue devenir plus creuse. Un jour
enfin, au matin d'une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris
du festin et les lustres qui pâlissaient s'épouvanta de l'énorme brèche qu'il
avait déjà faite à son lingot : il était temps de s'arrêter. Dès lors, ce fût
une existence nouvelle. L'homme à la cervelle d'or s'en alla vivre à l'écart, du
travail de ses mains, soupçonneux et craintif comme un avare, fuyant les
tentations, tachant d'oublier lui-même ces fatales richesses auxquelles il ne
voulait plus toucher... Par malheur, un ami l'avait suivi dans sa solitude, et
cet ami connaissait son secret.
Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en
sursaut par une douleur à la tête, une effroyable douleur; il se dressa éperdu,
et vit, dans un rayon de lune, l'ami qui fuyait en cachant quelque chose sous
son manteau... Encore un peu de cervelle qu'on lui emportait !...
A quelque temps de là, l'homme à la cervelle d'or devint amoureux, et cette fois tout fut
fini... Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l'aimait
bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les
jolis glands mordorés9 battant le long des bottines. Entre les mains de cette
mignonne créature, - moitié oiseau, moitié poupée, - les piécettes d'or
fondaient que c'était un plaisir. Elle avait tous les caprices; et lui ne savait
jamais dire non ; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu'au bout le
triste secret de sa fortune
– Nous sommes donc bien riches ? disait-elle.

Le pauvre homme lui répondait :
– Oh ! oui... bien riches !
Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment.

Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d'être avare;
mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait :

Mon mari, qui êtes si riche ! Achetez-moi quelque chose de bien cher...
Et il lui achetait quelque chose de bien cher.
Cela dura ainsi pendant deux
ans; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu'on sût pourquoi, comme un
oiseau... Le trésor touchait à sa fin; avec ce qui lui restait, le veuf fit
faire à sa chère morte un bel enterrement. Cloches à toute volée, lourds
carrosses tendus de noir, chevaux empanachés, larmes d'argent dans le velours,
rien ne lui parut trop beau. Que lui importait son or maintenant?... Il en donna
pour l'église, pour les porteurs, pour les revendeuses d'immortelles10 ; il en
donna partout, sans marchander... Aussi, en sortant du cimetière, il ne lui
restait presque plus rien de cette cervelle merveilleuse, à peine quelques
parcelles aux parois du crâne.
Alors on le vit s'en aller dans les rues,
l'air égaré, les mains en avant, trébuchant comme un homme ivre. Le soir, à
l'heure où les bazars s'illuminent, il s'arrêta devant une large vitrine dans
laquelle tout un fouillis d'étoffes et de parures reluisait aux lumières, et
resta là longtemps à regarder deux bottines de satin bleu bordées de duvet de
cygne. "Je sais quelqu'un à qui ces bottines feraient bien plaisir", se
disait-il en souriant; et, ne se souvenant déjà plus que la petite femme était
morte, il entra pour les acheter.
Du fond de son arrière-boutique, la
marchande entendit un grand cri; elle accourut et recula de peur en voyant un
homme debout, qui s'accotait au comptoir et la regardait douloureusement d'un
air hébété. Il tenait d'une main les bottines bleues à bordure de cygne, et
présentait l'autre main toute sanglante, avec des raclures d'or au bout des
ongles.
Telle est, madame, la légende de l'homme à la cervelle d'or.

Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d'un bout à
l'autre... Il y a par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de
leur cerveau et paient en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les
moindres choses de la vie. C'est pour eux une douleur de chaque jour; et puis,
quand ils sont las de souffrir...

1. culs-blancs : oiseaux
2. orphéons : instruments de musique
3. courlis : oiseaux dont la taille varie de celle du pigeon à celle du corbeau
4. fifre : petite flûte en bois au son aigu et perçant
5. Charles Barbara : auteur de romans et de contes sombres et fantastiques, il collabora aux mêmes journaux qu'Alphonse Daudet. II se suicida après la mort de sa femme.
6. conte badin : récit gai et léger
7. degré de marbre : marche d'un escalier
8. trimballait : argot pour se déplacer.
9. mordorés : d'un brun chaud aux reflets dorés
10.immortelles : fleurs jaunes souvent employées dans la confection des couronnesfunéraires.



I- Vous répondrez d'abord â la question suivante (4 points) :

Après avoir lu attentivement le texte, vous en dégagerez brièvement la morale, puis vous direz à quel(s) genre(s) on peut le rattacher.
Vous justifierez votre réponse.

II. Vous traiterez ensuite, au choix,  l'un des sujets suivants (16 points) : 

Commentaire
Vous commenterez le passage suivant : "A quelque temps de là [...] souffrir" ().


Dissertation
"Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d'un bout à l'autre..." écrit Alphonse Daudet dans La Légende de l'homme à la cervelle d'or.
Vous vous demanderez pourquoi certains écrivains ont recours à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons.
Vous répondrez en vous appuyant sur le texte d'Alphonse Daudet et sur d'autres œuvres que vous connaissez.

Invention
A la réception de ce texte, "la dame qui demande des histoires gaies" décide de répondre à Alphonse Daudet. Dans sa lettre, elle évoque les émotions et développe les réflexions que cette histoire lui a inspirées.
 

 

 
 
 
 

Date de dernière mise à jour : 01/04/2021

Ajouter un commentaire