Florian, Fables, «La fable et la vérité», une fable qui cherche à dénoncer la noblesse tout en conciliant mensonge et vérité

Premier apologue satirique de son recueil. Une allégorie, une double personnification de la fable et de la vérité

Florian 1792

une fable qui cherche à dénoncer la noblesse tout en conciliant mensonge et vérité - En 1792, Jean-Pierre Claris de Florian publie la fable et la vérité, premier apologue satirique de son recueil

Florian, Fables, 
« La fable et la vérité » 


La Vérité toute nue
        Sortit un jour de son puits ;
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,
        Jeune et vieux fuyaient sa vue :
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
        À ses yeux vient se présenter
        La Fable richement vêtue,
        Portant plumes et diamants,
        La plupart faux, mais très brillants.
        Eh ! Vous voilà ! bonjour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : vous le voyez, je gèle :
        Aux passants je demande en vain
        De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,
        Vieille femme n’obtient plus rien.
        Vous êtes pourtant ma cadette,
        Dit la Fable, et, sans vanité,
        Partout je suis fort bien reçue ;
        Mais aussi, dame Vérité,
        Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
        Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
        Chez le sage, à cause de vous,
        Je ne serai point rebutée ;
        À cause de moi, chez les fous
        Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,
        Vous verrez, ma sœur, que partout
        Nous passerons de compagnie.

Une allégorie, le rôle de la fable et la morale

Florian, Fables, 
« La fable et la vérité » 


Florian 1792Une allégorie 
L’allégorie est double ici : elle se présente sous la forme 
d’une double personnification de la fable et de la vérité, 
c’est-à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence 
opposés. Toutes deux sont représentées sous la forme 
de deux femmes diamétralement opposées par l’âge et 
la tenue. Les deux premiers vers réactivent un proverbe 
éculé, « la vérité sort du puits », grâce au passé simple, à 
l’indication de temps « un jour » et à la personnification. 
L’adage impersonnel perd son abstraction. 
La vérité est « toute nue » : le fabuliste rajeunit une 
formule courante en la prenant au pied de la lettre 
(l’expression sera reprise au vers 22). Le dénuement de 
la vérité est symbolisé par l’hyperbole et la brièveté du 
vers impair, qui inaugure l’apologue ; le fabuliste joue 
sur le double sens du qualificatif « pauvre » (v. 5), ici 
antéposé (sens économique, mais aussi expression de 
la compassion du narrateur). L’absence de vêtement 
explique la réplique du vers 13, « je gèle ». 
À l’inverse, la fable est « vêtue » : à la pauvreté de la 
première répondent le « richement vêtu » du vers 8, les 
ornements et les bijoux (v. 9), l’éclat (« brillants », v. 10), 
le « manteau » du vers 25. On notera la restriction du 
vers 10 (« la plupart faux ») qui rappelle le caractère 
hybride de la fable, mixte de vérité et de mensonge. 
Alors que la vérité est seule et rejetée de tous (vers 
4, 6, 14, 16), la fable est « fort bien reçue » (v. 20) et 
trouve l’asile « en vain » recherché par la vérité (v. 6). 
Enfin, elle a perdu sa beauté (long alexandrin du vers 3 
scandé par l’allitération en « t » qui suggère les atteintes 
du temps) : la cause est imputable à sa vieillesse, à son 
apparence de « vieille femme » (v. 17). 

Le rôle de la fable 
La fable mène le jeu et le dialogue, c’est elle qui prend 
la parole au vers 18 et la conserve jusqu’à la fin de la fable, 
la vérité se tait. Elle commence par saluer la vérité (v. 11), 
manifeste du respect à son égard, à la différence des 
passants, en la qualifiant de « dame » (v. 21), elle propose 
ensuite une solution, un pacte intéressé (v. 24), un échange 
de bons procédés : la fable a besoin de la vérité pour entrer 
chez les sages et la vérité de la fable pour convaincre les 
fous. Elle tire ainsi sa malheureuse compagne de la misère 
et de la solitude, elle connaît les hommes et exprime sa 
certitude à l’aide du futur « vous verrez » (v. 32). 

La morale de la fable 
Les hommes fuient la vérité à son passage, « jeunes 
et vieux » (v. 4), « passants » anonymes qui viennent à 
la croiser, elle est même « maltraitée » par les « fous » 
(gradation discrète). L’allégorie est claire : les hommes 
n’aiment pas « la vérité toute nue », illustration de 
l’adage « toute vérité n’est pas bonne à dire », la vérité 
n’est pas toujours belle à voir, sa laideur dérange, 
l’humanité préfère les enjolivements de la fable. Si 
les hommes préfèrent les fables, c’est parce qu’elles 
enrobent l’âpreté du vrai, pare celui-ci des plumes 
de l’allégorie, des diamants du style, elle ne reprend 
pas à rebrousse-poil une humanité chatouilleuse, et 
ménage l’orgueil humain. Mais sans la vérité, la fable 
n’est plus qu’un mensonge – rappelons que le terme 
est polysémique et a aussi cette acception – elle a donc 
besoin de s’allier à cette dernière pour se justifier. 
Florian se livre à un éloge de la fable, du pouvoir de 
cette dernière seule capable de corriger les hommes. 
La vérité commet une erreur en se présentant « toute 
nue » : ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à ses 
fins. La leçon est moins pessimiste que lucide, il faut 
prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’il devrait être, 
pour reprendre La Bruyère. On rattachera cette morale 
implicite à la préface des Fables de La Fontaine. 

Séquence bac " la réécriture"

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