Commentaire littéraire intégralement rédigé en poésie : Chant d'amour VI, Lamartine Nouvelles Méditations poétiques 

Commentaire littéraire

A la fin du XVIIIème et au cours du XIXème, le romantisme, mouvement culturel et artistique privilégie le culte du moi, la sensibilité et l’expression des états d’âme. « Chant d’amour VI » est un poème composé d’alexandrins et d’hexasyllabes représentatif du romantisme de Lamartine, tiré du recueil intitulé  Nouvelles Méditations poétiques  publié en 1823. Cette poésie lyrique en reprend les thèmes récurrents, la fuite du temps, la mort dans son opposition à l’immuabilité de la nature et l’éternité du sentiment amoureux. « Chant d’amour VI » est l’expression de l’amour inconditionnel et éternel du poète envers sa nouvelle épouse Mary- Ann -Elisa Birch mais au-delà de l’éloge à l’amour, la plume du poète trahit son angoisse du temps qui passe. Aussi, tenterons-nous de montrer comment face l’écoulement destructeur du temps, le poète cherche refuge dans l’éternité du sentiment amoureux et dans la permanence de la nature. Pour répondre à notre question, nous verrons que le motif angoissant de la fuite du temps menaçant et destructeur est aussi l’occasion de mettre en avant la supériorité de l’amour éternel en écho avec la permanence de la nature dans une écriture poétique salvatrice.


   La poésie s’ouvre sur un thème obsessionnel et omniprésent chez Lamartine, la fuite du temps en lien avec un autre thème, l’amour, menacé par le temps qui s’accélère.


Dès le premier vers et tout au long de la poésie, les allitérations en « L » mettent en avant l’écoulement continu du temps,  vers 1, « temps jaloux », « haleine », « couleurs », vers 3 « lits », vers 4 « lèvres », vers 5 « hélas, «  vers 7 « voilés », « larmes », vers 10 « l’onde », vers 13 et 14 « là », « veille », « l’ombre », « fidèle », vers 16 « lampe », vers 21 « l’un, l’autre », vers 26 « solitaire et « s’envoler » au vers 30. 
Le temps qui passe se révèle destructeur de l’amour impuissant face à son écoulement continu, à qui il retire beauté et jeunesse comme le suggèrent la métaphore filée de la fleur et le champ lexical du temps et de la durée, vers 1 « le temps », vers 2 « fanera », « fleur passée », vers 4 « flétrira », « t’ont ravi », vers 10 « souvenir », « doux souvenirs », vers 25 « passer ». De nombreuses allusions au cycle des jours renforcent  l’obsession de Lamartine, vers 1, « un jour », vers 6 « saison »,  vers 8 « ces jours écoulés », vers 13 « siècle sans nombre », vers 25 « passer sur cette terre »,  vers 26 « automne ».  Le fatal et impitoyable cycle des jours est également suggéré par la métaphore de l’eau vers 8 et 10 « jours écoulés » et « l’onde du rivage ». L’amour qui aspire à l’éternité se voit réduit au temps d’une courte vie grignotée par l’angoisse d’une fin, d’une séparation, de l’appel de la mort. 
   Suspendu aux caprices du temps qui s’accélère, l’amour a cependant quelques instants de bonheur mais les temps du futur sont annonciateurs de la brièveté des moments heureux, « le temps jaloux…fanera », « sa main flétrira », vers 4, « pleureront », vers 9. Le temps personnifié, « jaloux », à « l’haleine glacé », « sa main » se dévoile comme assassin, voleur des promesses de bonheur et la comparaison du vers 2 « fanera tes couleurs comme une fleur passée » fait de lui le plus grand destructeur de l’amour. Le temps accordé est éphémère et la fuite du temps est un rappel de la fatalité« tu chercheras en vain » vers 11, « Et quand la mort viendra », vers 19.  Trop brefs, les instants éphémères d’amour partagés soulignent l’impuissance de l’homme victime de sa condition et cette idée est encore renforcée par l’usage des participes passés au sens passif, « passée », vers 2, « voilés » vers 7 et « écoulés » vers 8. Le vers 5 « Ces rapides baisers, hélas ! » traduit les douleurs, souffrances et regrets associés aux trop brefs moments de bonheur 
   Le temps éphémère de l’amour fait opposition au temps infini, cyclique par l’alternance des alexandrins et des hexasyllabes qui rythment le mouvement du temps, éternel, cyclique et réduit le temps de l’amour, « les jours écoulés », « t’ont ravi tes charmes » vers 8, « pleureront ta rigueur », vers 9, « souvenir », vers 10, «  la mort », « viendra » vers 19, « éteindre », « le lit du tombeau », « passer sur cette terre » vers 24 et 25. Le temps éternel dans son opposition au temps éphémère est aussi évoqué et renforcé par les nombreux enjambements de la poésie qui scandent l’accélération du temps en donnant un rythme plus rapide, vers 4, 5, 6 – vers 8, 9 – vers 10, 11 – vers 16, 17, 18 - 23, 24 – 29, 30. 


L’obsession du temps qui passe est aussi l’occasion pour Lamartine de mettre en avant la supériorité de l’amour capable de conjurer le cycle des jours, l’écoulement inéluctable du temps et de lui échapper. 


   Cette méditation du romantique consacrée à l’éloge de l’amour nous enseigne que le présent ne suffit pas car l’amour éphémère aspire à l’éternité. Si la jeunesse et la beauté passent, « tu chercheras en vain ta ravissante image » vers 11, l’amour aspire à une fusion totale qui ne s’inscrit pas dans le temps. Annoncé dès le vers 7 avec la conjonction de coordination « Mais », l’impératif du vers 12 « Regarde » et la métonymie « cœur », l’amour échappe au temps, il ne se mesure que par la pureté du « cœur », la beauté éternelle et l’immortalité. Le temps conjuré peut jalouser à son tour l’amour dont il a tenté « jaloux » de faner « les couleurs » car c’est une autre plénitude possible de l’amour que le cœur de l’aimé immortalise. 
   Au-delà du temps qui passe, l’amour pour Mary Ann Elisa est inconditionnel, sa femme est comme sanctifiée. Pureté, beauté, immortalité grâce au « cœur » et à sa « fidélité » vers 15 qui souligne l’exclusivité de sa passion. La sacralisation de la femme aimée par l’anaphore »Là » des vers 13 et 14 et la locution adverbiale « à jamais » suggèrent l’éternité de leur union, « Là ton doux souvenir, veille à jamais à l’ombre de ma fidélité ». Le voyage de l’amour se poursuit dans la lumière quasi céleste ainsi que le souligne la comparaison du vers 16 « Comme une lampe d’or dont une vierge sainte… la tremblante clarté ». 
   Déjà hors du temps, l’amour devient une quête, une célébration de l’immortalité par la mort. La conjonction de coordination « Et » du vers 19 annonce la fatalité de la mort « Et quand la mort viendra » que le temps futur renforce,  rappelant ainsi notre mortelle condition.  Le champ lexical de la mort « éteindre », « ma couche », « lit », « tombeau » s’oppose à celui de l’union éternelle rendue possible par la mort annoncée « notre double vie », « l’un l’autre », « flambeau », « A côté de la tienne », « ta main fidèle », « la mienne ».  La musicalité avec des sonorités plus dures, allitérations en « R » des vers 19 et 20, « mort », « viendra », « autre », « amour », « éteindre », « souriant » et en « T » des vers 22, 23 et 24, « « éteindre », « côté », « tienne », « ta », « tombeau », connotent la mort qui paradoxalement n’angoisse pas le poète alors même que la mort approche, impitoyable, comme le montre le gérondif « en souriant » du vers 20, « Eteindre en souriant de notre double vie ». L’amour pourtant éphémère aspire à l’éternité dans son dernier voyage. La mort est perçue comme une promesse d’union éternelle qui conjure l’angoisse du temps qui passe, de la mort et de la séparation. Elle n’est pas une fin mais une renaissance de l’amour qui s’éternise. Les amants ne sont plus qu’un comme le souligne la symbolique du feu du vers 21 « L’un et l’autre flambeau », en antithèse avec le verbe « Eteindre » du vers 20, l’union par la mort devient sacrée par le « cœur » et « la fidélité » des amants, « Et que ta main fidèle embrasse encore la mienne dans le lit du tombeau ». La mort n’est pas une menace mais promesse d’amour éternel. 


Lamartine trouve en l’amour une consolation face au temps qui passe car c’est une célébration de l’immortalité de l’homme dont la nature est témoin et qui fait écho à cette quête de l’immortalité rendue possible par l’écriture, véritable refuge de l’écrivain. 


   L’adverbe « plutôt » du vers 25 annonce une métaphore filée « des cygnes amoureux » qui fait écho à l’immortalité de l’amour célébrée par le poète. La nature s’anime et à l’image de l’homme reflète les aspirations de l’écrivain amoureux qui trouve une correspondance entre ses sentiments et la métaphore animale, image de la nature toute-puissante et bien supérieure au temps qui passe évoqué par les allitérations en « P », « plutôt », « puissions-nous », « passer » et la comparaison du vers 26 « Comme on voit en automne un couple solitaire ». La saison représente notre passage sur terre de manière symbolique car elle correspond à la fin de l’année, la fin possible de la vie. La nature offre au poète l’image des amours partagées, elle se fait témoin de la sacralisation de l’amour éternel. En effet, les « cygnes amoureux », en « couple » sont la promesse d’un amour vers de « doux climats qu’ils vont chercher ensemble » échappant à l’automne et aux contraintes du temps. L’amour serait un voyage heureux à deux ainsi que le suggèrent les douces sonorités des allitérations en « S », « cygnes », « s’embrassant », « rassemble », « ensemble », « s’envoler » et des assonances en « en », « s’embrassant », « rassemble, « ensemble », « s’envoler ». Dans cette opposition des deux éléments, terre et air avec l’euphémisme « passer sur cette terre » et « s’envoler à deux », la métaphore offre une correspondance des symboles, on y retrouve, la symbolique de la fidélité « A deux, « En couple », « ensemble » et celle du cœur, « s’embrassant ».La nature devient refuge et le poète y projette ses états d’âme.
   Le poète trouve un autre refuge dans l’écriture. La nature a le pouvoir de faire écho et de résister au temps qui passe mais le langage poétique est aussi une manière d’immortaliser l’amour et de conjurer le temps. Les Méditations poétiques sont également une réflexion philosophique qui amène le poète à se questionner sur le sens de la vie. Dans cette visée d’une poésie philosophique, Lamartine met en avant son angoisse existentielle face aux thèmes liés du temps qui passe, de la mort, de l’amour et de la quête d’une immortalité. Il trouve dans ses Méditations un apaisement et un refuge dans la nature et dans l’écriture. Les mots sont salvateurs car ils libèrent des maux, ainsi, les thématiques romantiques du temps, de l’amour, de la mort, topos récurrents trouvent leur raison d’être dans l’éternité recherchée du sentiment amoureux, dans l’aspiration et la célébration de l’immortalité. 
   Le poète par l’écriture poétique et le pouvoir des mots trouve une consolation et remplit sa mission, ses méditations ont une portée universelle et, pour reprendre les mots de Victor Hugo dans sa préface des Contemplations, nous dirons, « Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ».  Les angoisses du poète sont les angoisses des hommes.  Poésie autobiographique, lyrique dans l’expression des sentiments, sentiments personnels de l’écrivain partagés avec le lecteur, en ce sens, Chant d’amour est en lien avec notre parcours bac, « Mémoire d’une âme » car ce dernier explore son âme qu’il met à nu sous les yeux du lecteur. 


Ainsi, dans « Chant d’amour VI », Lamartine fait le triste constat de l’enfermement de l’homme dans sa finitude et sa mortelle condition. Le temps qui passe lié au thème de l’amour fait de cette poésie représentative du romantisme, une méditation philosophique qui est l’occasion pour le poète de chercher à conjurer le cycle des jours par l’éternité du sentiment amoureux, par la permanence de la nature et l’immortalité d’une écriture libératrice. 
On retrouve ces thèmes du cycle des jours, de la mort et de la renaissance de la nature chez Victor Hugo dans « Soleils couchants » du recueil Les Feuilles d’automne. 

 

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