Etude linéaire, Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, deuxième partie, scène 1

PROBLEMATIQUE - Quel récit de son départ Louis nous fait-il et faut-il le croire ?

Juste la fin du monde 2

Pour étudier le parcours bac et revoir les études linéaires

 

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Exercices bac français Lagarce Juste la fin du monde parcours crise personnelle, familiale.Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices 2 4

Exercices bac français Lagarce Juste la fin du monde parcours crise personnelle, crise familiale.Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices bac français Lagarce Juste la fin du monde parcours crise personnelle, familiale.Evaluez votre niveau, testez vos connaissances-Progressez avec les corrigés

Ce monologue mêle trois modes d’écriture : le lyrisme, le récit et le drame.

LOUIS.

— Et plus tard, vers la fin de la journée,

c’est exactement ainsi, l

orsque j’y réfléchis,

que j’avais imaginé les choses,

vers la fin de la journée, sans avoir rien dit de ce qui me tenait à cœur

– c’est juste une idée mais elle n’est pas jouable

– sans avoir jamais osé faire tout ce mal,

je repris la route, je demandai qu’on m’accompagne à la gare,

qu’on me laisse partir.

Je promets qu’il n’y aura plus tout ce temps avant que je revienne,

je dis des mensonges,

je promets d’être là, à nouveau,

très bientôt, des phrases comme ça.

Les semaines, les mois peut-être, 

qui suivent, je téléphone, je donne des nouvelles,

j’écoute ce qu’on me raconte,

je fais quelques efforts,

j’ai l’amour plein de bonne volonté,

mais c’était juste la dernière fois,

ce que je me dis sans le laisser voir.

Elle, elle me caresse une seule fois la joue,

doucement,

comme pour m’expliquer qu’elle me pardonne je ne sais quels crimes,

et ces crimes que je ne me connais pas, je les regrette,

j’en éprouve du remords.

Antoine est sur le pas de la porte,

il agite les clefs de sa voiture,

il dit plusieurs fois qu’il ne veut en aucun cas me presser,

qu’il ne souhaite pas que je parte,

que jamais il ne me chasse,

mais qu’il est l’heure du départ,

et bien que tout cela soit vrai,

il semble vouloir me faire déguerpir,

c’est l’image qu’il donne,

c’est l’idée que j’emporte.

Il ne me retient pas,

et sans le lui dire,

j’ose l’en accuser.

C’est de cela que je me venge.

(Un jour, je me suis accordé tous les droits.)

 

Louis évoque un rêve

Dramaturge, poète et écrivain universel du 20ème siècle aujourd’hui il est l’auteur contemporain le plus joué en France et son œuvre est traduite en plus vingt-cinq langues.

- Son écriture lui a permis d’apprendre à vivre et à mourir atteint de SIDA il meurt jeune à l’âge de 38 ans.

- La pièce composée en deux parties raconte le retour de Louis, 34 ans qui va mourir et décide de retourner voir sa famille après une longue absence de 12 ans pour leur annoncer la nouvelle. Au cours de la pièce on témoigne d’une crise personnelle et familiale entre, Louis son petit frère Antoine, sa sœur Suzanne et leur mère.

L’extrait sur lequel nous allons nous pencher est le monologue de la scène 1 de la deuxième partie qui forme comme un diptyque avec le prologue. Louis raconte déjà au passé qu’il est reparti sans avoir annoncé son mort.

Louis évoque un rêve 

Notre extrait est à la fois un discours monologique et un récit. En parlant tout seul, Louis brise l’illusion du quatrième mur en s’adressant directement au spectateur. Lagarce rompt la dimension mimétique du théâtre.

- Son récit commence par une conjonction de coordination « et » ( 1) qui manifeste la continuité entre les différentes parties. Puis suit le signe d’une ellipse : « plus tard ». (1) Louis parle en effet d’un point temporel après le retour. Ce retour qui ne nous a pas été montré est raconté au passé simple « je repris », « je demandai (9, 10), temps de l’indicatif qui est coupé du temps de l’énonciation, du présent. Il semble déjà être dans l’après, ce qui dédramatise toute notion d’action puisqu’on ne le vit pas sur scène mais juste par le récit peut-être subjectif de Louis.

- Louis compare ce qui s’est passé avec ce qu’il avait anticipé : « c’est exactement ainsi, lorsque j’y réfléchis/que j’avais imaginé les choses » (2,3). Cela peut étonner dans la mesure où dans le prologue il semblait réellement résolu à annoncer sa mort. Cependant, on avait pu apercevoir dans la scène 5, cette prise de conscience qu’il était déjà, d’une certaine manière, mort et qu’annoncer sa mort pour de vrai allait bouleverser cet équilibre donc il choisit le silence plutôt que la parole. On voit donc que le personnage est en mouvement dans la temporalité de la pièce, dans la temporalité du discours. Lagarce met en scène des personnages qui donnent l’impression qu’ils savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils veulent dire.

- C’est ce que Louis dit de manière beaucoup explicite ici grâce à la parenthèse entre tirets « c’est juste une idée mais elle n’est pas jouable. » (7) « sans avoir jamais osé faire tout ce mal » ( 8) . Pourquoi annoncer sa mort, pourquoi cette annonce pourrait-elle « faire tout ce mal » ? Parce que comme le montre sa mort verrouillerait la conversation. Qui peut se quereller avec un mourant ? Louis aurait, par son annonce, généré de la pitié qui aurait enfermé sa famille dans une forme unique du sentiment. En revanche, se taire, c’est permettre aux autres d’être eux-mêmes.

Il y a 27 occurrences du mot « mal » dans la pièce lié au « malheur », donc à une dimension tragique. On voit comment Lagarce noue l’éthique protestante et le genre tragique. Ainsi ne pas dire, ce serait un acte d’amour, contraste avec « venge » ( 39), ce qui montre bien que les motivations des personnages sont complexes et qu’il arrive qu’ils se trompent eux-mêmes, se mentent à eux-mêmes, malgré leur impression de lucidité.

- Ici, le personnage ne dit pas, il dit qu’il a dit. On remarque les verbes de parole « dit », « demandai » - 6, 10. Le discours est indirect : « qu’on m’accompagne à la gare » (10). Or, cette parole indirecte ne délivre pas au spectateur/lecteur des informations objectives. Nous ne connaissons cette scène du départ que par le filtre de Louis, qui est subjectif, manipulateur, et parfois se trompant soi-même.

- Louis se présente comme un personnage en mouvement « je repris la route ». Il est celui qui prend le train « je demandai qu’on m’accompagne à la gare » (10), « qu’on me laisse partir » (11). Il est celui qui voyage par rapport à sa famille qui ne semble pas bouger. La figure du nomade s’oppose au reste de la famille fixe.

Lagarce fait une prolepse des mois à venir

- Dans la deuxième strophe la parole est cependant frappée de soupçon. « Je promets » répété v. 12 et 15 et commentée « je dis des mensonges », « des phrases comme ça » (v. 14, 16). La parole est inauthentique car on dit ce que l’autre veut entendre .

- C’est la même chose dans la deuxième phrase de la strophe : s’opposent d’un côté une énumération de verbes qui disent son amour, son empathie, « je donne », j’écoute » « je fais des efforts », j’ai l’amour plein de bonne volonté » (v. 20-21) et de l’autre côté l’inverseur argumentatif, la conjonction « mais » « c’était juste la dernière fois » (v. 22, 23) qui rompt tout lien. L’adverbe « juste » nous rappelle le titre « juste la fin du monde ». Ce départ pour toujours est donc d’une grand violence, mais l’adverbe « juste » le minimise comme si rien n’avait d’importance.

- La phrase est au présent « Les semaines, les mois peut-être qui suivent/ je téléphone/ je donne des nouvelles » (v. 17-19). Le présent donne l’impression que Louis narrateur se place dans le futur. Il raconte en prolepse ce qu’il va se passer. Mais quel est le statut de cette prolepse ? S’est-elle réellement passée ainsi  s’agit-il seulement d’une anticipation.

- En effet, pour pouvoir raconter cette dernière année, il faut déjà l’avoir vécue, donc il faut être mort. Or Louis joue à être mort et à ne pas l’être encore. Il est comme un « revenant » coincé entre plusieurs temporalités. Par ailleurs, le « peut-être » laisse émerger l’idée d’une faille dans la maîtrise de cette mise en scène. Louis qui se prétend en maîtrise, ne sait peut-être pas tout, ne sait peut-être pas quand il ment ou quand il dit la vérité, quand il se trompe ou quand il est juste. C’est l’enjeu de la deuxième partie.

Les adieux à la mère

- Les adieux à la mère sont tendres et tragiques. « elle me caresse une seule fois la joue » (v. 24), « doucement » (v. 25).

- Les deux personnages communiquent grâce au non-verbal, grâce à un seul geste « une seule fois » « comme pour m’expliquer » (v. 25).

- En outre, le non-dit reste présent : « ces crimes que je ne connais pas » (v. 26) cependant il génère une réaction de Louis : « je les regrette, j’en éprouve du remords » (v. 27). Le silence permet de faire la paix.

Les adieux du frère

Antoine dit au revoir sur le « seuil ». Les seuils sont importants dans l’œuvre de Lagarce : seuil de porte, seuil de la vie et de la mort, temps qui a explosé. Dans la parabole du fils prodigue du Christ, le père guette sur le seuil de son fils perdu.

- Antoine est celui qui ne peut pas partir mais qui le voudrait. Bien sûr vouloir faire partir Louis, c’est faire partir la cause de cette violence. Mais c’est peut-être aussi pour Antoine, prendre la voiture, se mettre enfin sur la route. « il agite les clefs de sa voiture » (v. 29) Cependant ce geste n’est pas compris ainsi par Louis.

- C’est ce geste qui fait sens - On remarque l’antithèse entre « il agite les clefs de sa voiture » et ce qu’il dit. Le discours rapporté au style indirect qui s’étend sur 5 vers donne vraiment l’impression d’entendre le frère.

- Louis commente la scène et oppose la vérité à l’intention : « bien que tout cela soit vrai (subordonnée concessive), il semble vouloir me faire déguerpir » (v. 34, 35). Louis utilise un verbe modalisateur « il semble » (v. 35), il analyse l’apparence « c’est l’image qu’il donne » (v. 35)

- Et finalement, l’interaction se termine dans le silence « c’est l’idée que j’emporte » « il ne me retient pas », « et sans le lui dire, j’ose l’en accuser » (v. 36-38).

la morale du récit

La morale nous amène à une vision tragique des rapports humains, notamment dans la famille.

• 1/ Louis n’a pas dit qu’il était condamné, par amour. « sans jamais avoir osé faire tout ce mal » (v. 8).

• 2/ Pourtant, il n’a pas aimé la manière dont on l’a fait partir, surtout Antoine à cause de ses gestes et des  non-dits.

• 3/ Ces adieux ont créé de la rancœur chez Louis qui ne reviendra pas

• 4/ En famille, on fait du mal, même quand on veut faire le bien. C’est cela la vision tragique que propose Lagarce.

- La pièce va nous montrer qu’il n’y a pas de vérité objective dans les relations humaines et que le regard de Louis, n’est pas le seul. Il y a surtout Antoine qui s’exprimera plus-tard dans la pièce

Ainsi ce monologue qui mêle trois modes d’écriture : le lyrisme, le récit et le drame permet à Louis de partir après avoir permis à ses proches de s’exprimer. On comprend que la différence entre les adieux suggère que les personnages lyriques sont constamment en pleine hésitation et en correction de leur parole car les relations entre les personnages ne sont pas identiques

- En outre dans ce passage tout semble s’être dit dans les non-dits et dans les gestes et à partir de cela la morale est née. C’est une des clefs de lecture de la pièce.

Date de dernière mise à jour : 26/11/2022

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