Commentaire linéaire, Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, deuxième partie, scène 3

Problématique : Comment malgré l’incapacité du langage à dire, Antoine parvient-il à s’exprimer ?

Juste la fin du monde

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Exercices bac français Lagarce Juste la fin du monde parcours crise personnelle, familiale.Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices 2 4

Exercices bac français Lagarce Juste la fin du monde parcours crise personnelle, crise familiale.Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

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Lecture de l'extrait à étudier

Tu es là, devant moi,

je savais que tu serais ainsi,

à m’accuser sans mot,

à te mettre debout devant moi pour m’accuser sans mot,

et je te plains,

et j’ai de la pitié pour toi,

c’est un vieux mot, mais j’ai de la pitié pour toi,

et de la peur aussi, et de l’inquiétude, et malgré toute cette colère, j’espère qu’il ne t’arrive rien de mal, et je me reproche déjà

(tu n’es pas encore parti)

le mal aujourd’hui que je te fais.

Tu es là, tu m’accables, on ne peut plus dire ça, tu m’accables, tu nous accables, je te vois, j’ai encore plus peur pour toi que lorsque j’étais enfant,

et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre existence, qu’elle est paisible et douce

et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d’avoir failli se lamenter,

alors que toi,

silencieux, ô tellement silencieux,

bon, plein de bonté,

tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début

Je ne suis rien,

je n’ai pas le droit,

et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,

je serai moins encore,

juste là à me reprocher les phrases que j’ai dites,

à chercher à les retrouver avec exactitude, moins encore,

moins encore, avec juste le ressentiment, le ressentiment contre moi-même. Louis ?

LOUIS. — Oui ?

ANTOINE.

— J’ai fini. Je ne dirai plus rien. Seuls les imbéciles ou ceux-là, saisis par la peur, auraient pu en rire.

LOUIS.

— Je ne les ai pas entendus.

Duchaste disait « La parole fait événement : elle détraque les pensées avant de secouer les corps ». C’est ce que montre l’œuvre de Jean Luc Lagarce Juste la Fin du Monde publiée en 1999.

- Dramaturge, poète et écrivain universel du 20ème siècle aujourd’hui il est l’auteur contemporain le plus joué en France et son œuvre est traduite en plus vingt-cinq langues.

- Son écriture lui a permis d’apprendre à vivre et à mourir, atteint de SIDA il meurt jeune à l’âge de 38 ans.

- La pièce composée en deux parties raconte le retour de Louis, 34 ans qui va mourir et décide de retourner voir sa famille après une longue absence de 12 ans

 - le théâtre de Lagarce est le théâtre de la parole où les silences de Louis incarnent l’échec de cette parole. Ainsi, dans son œuvre il rompt avec les étapes tradtionnelles du théâtre et la parole tient lieu d’action.

 

Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Parcours : crise personnelle, crise familiale.

Dans la première strophe Antoine veut faire mal

Annonce du plan

- La tirade est constituée de deux strophes et un dernier moment. La deuxième strophe est une variation de la première et le dernier moment est l’échange de Louis avec Antoine.

Dans la première strophe Antoine veut faire mal

- Dans la pièce, les personnages ont du mal à se parler. D’où les monologues ou les quasi-monologues. Les personnages ont du mal à être dans le présent, d’où l’abondance du passé composé, ou du futur. On contemple toujours un autre temps, les souvenirs ou l’anticipation de l’avenir.

- Ici, pour la première fois, cependant, Antoine parvient à faire ce qui est une tirade. C’est une partie clé de l’œuvre car pour la première fois, l’un des personnages est  en train de parler à quelqu’un en face de lui, ici Louis. C’est ce que montre l’usage des déictiques : « tu es là, devant moi » (v. 1).

Comme tous les autres personnages, son rapport au temps et à l’action est très varié. Il évoque ce qu’il avait anticipé : « je savais que tu serais ainsi » (v. 2). Le conditionnel est le futur du passé. Cependant, très vite, Antoine retourne au présent d’énonciation « je te plains » (v. 4), « j’ai de la pitié » (v. 4), « le mal aujourd’hui que je te fais » (v. 10). Le présent a cette propriété d’être flexible et de pouvoir désigner le passé ou le futur proches

- Antoine dénonce le manque d’authenticité de leur rapport. « je savais que tu serais ainsi » -(v. 2). En effet chacun joue un rôle. Antoine l’a dit plus tôt dans la tirade : Louis s’est enfermé dans le rôle du mal-aimé meurtri. Ici, on retrouve encore cette dimension théâtrale des êtres : selon Antoine Louis est dans une certaine posture : « te mettre debout devant moi » (v. 3), un certain texte, ici le silence « m’accuser sans mot » (v.3), un certain genre théâtral, la tragédie, que l’on devine grâce à de subtiles allusions à Aristote : « j’ai de la pitié pour toi, c’est un vieux mot » « et de la peur aussi et de l’inquiétude » (v. 5, 6).

-  Antoine ressent de la passion « malgré toute cette colère, j’espère qu’il ne t’arrivera rien de mal ». Il est un spectateur empathique qui ne veut pas que l’histoire se termine mal. Cependant, il est malgré lui aussi acteur, renversant les rôles, ce que montre la répétition en chiasme « il ne t’arrive rien de mal »/ « le mal aujourd’hui que je te fais » (v. 7/v. 10).

le frère se demande « Qui suis-je ? »

- La seconde strophe constitue une variation des mêmes idées et des mêmes mots que la première. Mais quelle est l’utilité d’un redoublement ?

• 1/ chercher les bons mots mais il n’y a pas de bons mots. 

• 2/ La répétition transforme son être elle rend ses pensées plus complexes. Donc elles n’ont pas le même sens. Elle fait émerger le tragique du personnage.

- La répétition fait émerger le tragique du personnage. variations ?

• Antoine répète, comme au premier vers : « tu es là » (v. 11), sauf que cette fois-ci, Louis est déjà « par: » (v. 9).

• 1/ Le verbe « accuser » (v. 2) de la première strophe est devenu « accables » (v. 12). Accuser est du registre de la faute. En revanche, accabler c’est perdre la volonté de réagir face à une situation

• Dans la première strophe, Antoine avouait se sentir coupable d’une faute inconnue. Dans la deuxième, il sent qu’il ne peut pas se rebeller : le mot « accabler » est nié par le commentaire parenthétique « on ne peut plus dire ça » (v. 12).

• Étend ce sentiment à toute la famille « tu nous accables » (v. 14). Il est le porte-parole contre le fils aîné. Ainsi, Antoine explique comment son être s’est construit sur ce rapport de force, sur ces non-dits :

La culpabilité de ne pas avoir aimé assez Louis, et de l’avoir fait souffrir a obligé Antoine à jouer le rôle du fils simple et heureux : « je me dis que je peux rien reprocher à ma proche existence, qu’elle est paisible et douce »

- Ce qu’Antoine exprime c’est que Louis a crée des rapports de forces et a donné donner des rôles, ce qui a obligé Antoine à être spectateur de sa souffrance

 - Dès lors, les deux frères s’opposent dans une hiérarchie morale : d’un côté le « mauvais imbécile », de l’autre en antithèse « toi,/ silencieux, ,[…] bon, plein de bonté » (v. 20, 21). On remarque cependant l’ironie qui transparaît grâce au vocabulaire lyrique « ô tellement silencieux » (v. 20).

- Il s’agit donc d’une crise personnelle identitaire chez Antoine car les rôles familiaux ont été prédéfinis

• Antoine varie sur le verbe être : « je suis un mauvais imbécile » (v. 18), « je ne suis rien » (v. 24), « je serai moins encore » (v. 27).

• Antoine refuse les étiquettes. C’est pour cette raison qu’il a commencé à parler, parce qu’on l’accusait d’être une brute

• Ce jugement est institué par le silence de Louis. « je n’ai pas le droit » (v. 25), « juste là à me reprocher les phrases que j’ai dites » (v. 28), « avec juste le ressentiment, le ressentiment contre moi-même. » (v. 31, 32).

Enfin analysons le dialogue entre les deux frères

La question maintenant est de savoir si malgré la dimension performative du texte il s’agit d’une tirade ou d’un un pseudo-monologue ?

La réponse se trouve dans le dialogue de Louis.

- Antoine demande « Louis ? » (v. 33) et Louis répond (« Oui ? », v. 34). Cela suggère que la tirade a  était entendue par Louis. Cette interrogation prouve à Antoine que son frère l’écoute.

- Cependant les paroles ne coincident pas avec les gestes car si Louis l’avait réellement écouté, il l’aurait pris dans ses bras, ce qu’il ne fait pas. - « Je ne les ai pas entendus » 

Qui aurait pu rire ? « seuls les imbéciles ou ceux-là, saisis par la peur auraient pu en rire. » (v. 37) On sait qu’Antoine vient de se nommer « imbécile » lui-même (v. 18) mais parle-t-il des autres membres de sa famille

- Il faut imaginer cette tirade devant les trois autres femmes de la famille qui sont restées muettes. Cependant, si Antoine les désignait, il devrait dire « celles-là » et non « ceux-là ». « Ceux-là » ne peut désigner que le public. Le texte est donc (du théâtre dans le théâtre) = métathéatral : les deux frères forment un spectacle pour les trois femmes, mais aussi pour le public.

Ainsi, on note que la tirade a une fonction cathartique pour Antoine dans la mesure où il s’apaise, exprime son amour, sa haine, sa peur et ses regrets. De plus elle va au delà de l’incommunicabilité Antoine :

• se répète

• il ne fuit pas car il dit dans le présent

• il ne fait pas un métadiscours car le texte est performatif

- C’est pour cela que ce passage est d’un point de vue psychologique et littéraire une grande réussite.

- Ce texte, est donc extrêmement puissant et émouvant. Le lecteur / spectateur est ému par Antoine qui apparaît comme le grand personnage tragique de cette pièce. En effet, c’est tragique puisqu’Antoine ne sait pas s’il a touché Louis, s’il a été écouté.

- On retrouve ce doute autour de la réaction de Louis dans la bouleversante deuxième tirade d’Elvire dans l’acte IV de Dom Juan à laquelle Don Juan répond, : « Tu pleures je pense ? ». Ici, Louis dit qu’il n’a pas ri

Date de dernière mise à jour : 26/11/2022

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