Sujets de l'EAF bac 2002 série L, métropole, session septembre. Objet d'étude Réécritures

bac 2002

 

Les sujets du bac de français 2002, série L 

Sujets nationaux de la session de septembre 

 

 

Objet d'étude : Réécritures.

Corpus de textes
 Molière, Dom Juan (première représentation le 15 février 1665), Acte V, extrait de la scène 5 et scène 6.
 Charles Baudelaire, «Don Juan aux Enfers», Les Fleurs du Mal, 1857.
 Jules Barbey d'Aurevilly, «Le plus bel amour de Don Juan», Les Diaboliques, 1874.
Guy de Maupassant, Mont-Oriol, 1887.
Annexe - Michel Tournier, «Le miroir des idées», extrait de Don Juan et Casanova, 1994.

 

 

 Molière, Dom Juan, 1665.

Scène - Don Juan, Sganarelle, un spectre.

[Visitant le tombeau du Commandeur qu'il a tué en duel, Don Juan se moque du monument, en particulier de sa statue "en habit d'empereur romain". Par dérision, il invite la statue à venir partager son souper avec lui, mais la statue répond effectivement à l'invitation et invite à son tour Don Juan pour le lendemain. Juste avant l'apparition de la statue, un spectre se manifeste et annonce à Don Juan qu'il est perdu s'il ne se repent pas.]

DON JUAN
Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.
(Le spectre s'envole dans le temps que Don Juan le veut frapper.)
SGANARELLE
Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.
DON JUAN
Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi.

Scène - La statue, Don Juan, Sganarelle.

LA STATUE
Arrêtez, Don Juan: vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.
DON JUAN
Oui. Où faut-il aller ?
LA STATUE
Donnez-moi la main.
DON JUAN
La voilà.
LA STATUE
Don Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.
DON JUAN
O Ciel ! que sens-je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !
(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Don Juan; la terre s'ouvre et l'abîme1; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.)
SGANARELLE
Ah ! mes gages! mes gages2 ! Voilà par sa mort un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content; il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde. Mes gages ! mes gages ! mes gages !

1. l'abîme : l'engloutit.
2. mes gages : mon salaire.

 Charles Baudelaire, «Don Juan aux Enfers», Les Fleurs du Mal, 1857.

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine
Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon1,
Un sombre mendiant, œil fier comme Antisthène2,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes, 
Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis3 avec un doigt tremblant 
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire4,
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre 
Se tenait à la barre et coupait le flot noir,
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière5
Regardait le sillage et ne daignait rien voir .

1. Dans le mythe antique, Charon est celui qui transporte les morts dans le monde des Enfers; les morts doivent lui donner une "obole", c'est-à-dire une pièce de monnaie. Normalement, c'est Charon lui-même qui conduit la barque.
2. Antisthène était un philosophe de l'antiquité; pour lui, l'homme libre est celui qui a su dominer ses désirs, qui ne se préoccupe pas des convenances ou des devoirs imposés par la société, mais qui se conforme à une vertu idéale.
3. Don Louis est le père de Don Juan; subissant ses reproches, ce dernier lui répond avec insolence ou avec hypocrisie.
4. Elvire est une religieuse que Don Juan a séduite et enlevée après lui avoir promis de l'épouser.
5. Une rapière est une longue épée.

 Jules Barbey d'Aurevilly, «Le plus bel amour de Don Juan», Les Diaboliques, 1874.

[Dans la deuxième partie de sa nouvelle, le narrateur fait à la marquise Guy de Ruy le récit du souper que douze anciennes maîtresses du comte de Ravila de Ravilès ont décidé de lui offrir ensemble. Dans le passage suivant, il présente le comte].

  Le comte de Ravila de Ravilès [...] était bien l'incarnation de tous les séducteurs dont il est parlé dans les romans et dans l'histoire, et la marquise Guy de Ruy, - une vieille mécontente, aux yeux bleus, froids et affilés1, mais moins froids que son cœur et moins affilés que son esprit, - convenait elle-même que, dans ce temps, où la question des femmes perd chaque jour de son importance, s'il y avait quelqu'un qui pût rappeler Don Juan, à coup sûr ce devait être lui ! Malheureusement, c'était Don Juan au cinquième acte. [...] Ravila avait eu cette beauté particulière à la race Juan, - à cette mystérieuse race qui ne procède pas de père en fils, comme les autres, mais qui apparaît çà et là, à de certaines distances, dans les familles de l'humanité.
  C'était la vraie beauté, - la beauté insolente, joyeuse, impériale, juanesque enfin; le mot dit tout et dispense de la description; et - avait-il fait un pacte avec le diable ? - il l'avait toujours... Seulement, Dieu retrouvait son compte; les griffes de tigre de la vie commençaient à lui rayer ce front divin, couronné des roses de tant de lèvres, et sur ses larges tempes impies apparaissaient les premiers cheveux blancs qui annoncent l'invasion prochaine des Barbares et la fin de l'Empire... Il les portait, du reste, avec l'impassibilité de l'orgueil surexcité par la puissance; mais les femmes qui l'avaient aimé les regardaient parfois avec mélancolie. Qui sait ? elles regardaient peut-être l'heure qu'il était pour elles à ce front ? Hélas, pour elles comme pour lui, c'était l'heure du terrible souper avec le froid Commandeur de marbre blanc, après lequel il n'y a plus que l'enfer, - l'enfer de la vieillesse, en attendant l'autre !

1. Synonyme d' "aiguisés".

 - Guty de Maupassant, Mont-Oriol, 1887.

  Gontran, depuis deux ans, était harcelé par des besoins d'argent qui lui gâtaient l'existence. Tant qu'il avait mangé la fortune de sa mère, il s'était laissé vivre avec la nonchalance et l'indifférence héritées de son père, dans ce milieu de jeunes gens, riches, blasés et corrompus, qu'on cite dans les journaux chaque matin, qui sont du monde et y vont peu, et prennent à la fréquentation des femmes galantes des mœurs et des cœurs de filles1 .
  Ils étaient une douzaine du même groupe qu'on retrouvait tous les soirs au même café, sur le boulevard, entre minuit et trois heures du matin. Fort élégants, toujours en habit et en gilet blanc, portant des boutons de chemise de vingt louis changés chaque mois et achetés chez les premiers bijoutiers, ils vivaient avec l'unique souci de s'amuser, de cueillir des femmes, de faire parler d'eux et de trouver de l'argent par tous les moyens possibles.
  Comme ils ne savaient rien que les scandales de la veille, les échos d'alcôves et des écuries, les duels et les histoires de jeux, tout l'horizon de leur pensée était fermé par ces murailles.
  Ils avaient eu toutes les femmes cotées sur le marché galant, se les étaient passées, se les étaient cédées, se les étaient prêtées, et causaient entre eux de leurs mérites amoureux comme des qualités d'un cheval de course. Ils fréquentaient aussi le monde bruyant et titré dont on parle, et dont les femmes, presque toutes entretenaient des liaisons connues, sous l'oeil indifférent, ou détourné, ou fermé, ou peu clairvoyant du mari; et ils les jugeaient, ces femmes, comme les autres, les confondaient dans leur estime, tout en établissant une légère différence due à la naissance et au rang social.
  A force d'employer des ruses pour trouver l'argent nécessaire à leur vie, de tromper les usuriers2, d'emprunter de tous côtés, d'éconduire les fournisseurs, de rire au nez du tailleur apportant tous les six mois une note grossie de trois mille francs3, d'entendre les filles conter leurs roueries4 de femelles avides, de voir tricher dans les cercles, de se savoir, de se sentir volés eux-mêmes par tout le monde, par les domestiques, les marchands, les grands restaurateurs et autres, de connaître et de mettre la main dans certains tripotages de bourse ou d'affaires louches pour en tirer quelques louis, leur sens moral s'était émoussé, s'était usé, et leur seul point d'honneur consistait à se battre en duel dès qu'ils se sentaient soupçonnés de toutes les choses dont ils étaient capables ou coupables.
  Tous, ou presque tous devaient finir, au bout de quelques ans de cette existence, par un mariage riche, ou par un scandale, ou par un suicide, ou par une disparition mystérieuse, aussi complète que la mort.

1. femmes galantes, filles : prostituées.
2. les usuriers : les gens qui leur prêtent de l'argent à intérêt.
3. Une scène célèbre de la pièce de Molière montre Don Juan en train de recevoir avec une fausse sympathie M. Dimanche, un marchand à qui il doit de l'argent, et de le faire partir sans le payer.
4. leurs roueries : leurs ruses cyniques.

 

Annexe - Michel Tournier, «Le miroir des idées», Don Juan et Casanova, 1994.

[Dans son livre, M. Tournier expose les réflexions que lui inspirent des notions ou des personnages présentés en "miroir" par paires ou par couples complémentaires. Voici les deux premiers paragraphes du passage consacré à Don Juan et Casanova.]

  Ce sont les grands séducteurs de notre imagerie occidentale. Mais Don Juan est issu de l'Espagne classique, et Casanova de la Venise romantique, deux mondes totalement opposés. Lorsque Tirso de Molina écrit en 1630 sa comédie sans prétention Le Trompeur de Séville, il ignore qu'il vient d'inventer l'un des grands mythes modernes. Don Juan lui échappera et peuplera d'autres comédies, des opéras, des romans. C'est le propre des personnages mythiques de déborder ainsi leur berceau natal et d'acquérir une dimension et des significations que leur auteur n'avait pas soupçonnées. Tels furent après Don Juan, Robinson Crusoe et Werther .
  Pour Don Juan, le sexe est une force anarchique qui affronte l'ordre sous toutes ses formes, ordre social, ordre moral et surtout religieux. Les comédies où il apparaît ressemblent toutes à une chasse à courre où il joue le rôle du cerf, poursuivi par une meute de femmes, de pères nobles, de maris trompés et de créanciers. Elle se termine dans un cimetière par un hallaliet la mise à mort du grand mâle sauvage.

1. L 'hallali est le moment de la chasse où l'animal poursuivi est rejoint et cerné.

ÉCRITURE

I. Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :

En allant à l'essentiel, précisez ce qui caractérise le personnage de Don Juan et ses transpositions dans les textes proposés ci-dessus.

ll. Vous traiterez ensuite un de ces sujets au choix (16 points) :

  • Commentaire : 
    Commentez le texte de Maupassant (D) à partir de la phrase: "Ils étaient une douzaine..."
  • Dissertation : 
      A propos de Don Juan, Michel Tournier en vient à écrire : « C'est le propre des personnages mythiques de déborder ainsi leur berceau natal et d'acquérir une dimension et des significations que leur auteur n'avait pas soupçonnées.»
      En prenant librement appui sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés et vos connaissances personnelles, vous expliquerez sous la forme d'un développement organisé pourquoi certains mythes ou certains "personnages mythiques" continuent d'inspirer les créateurs et d'intéresser leur public longtemps après leur apparition.
  • Invention :
      Vous proposez un article sur le sujet des réécritures au directeur d'un journal. Vous analysez dans votre texte le principe des réécritures et l'intérêt qu'elles présentent.
      Dans votre démarche, vous vous efforcez évidemment d'illustrer vos explications. Vous exploitez donc vos connaissances personnelles, ainsi que l'exemple fourni par les textes présentés ci-dessus; vous vous appuyez éventuellement sur des exemples empruntés à d'autres formes d'expression artistique.

 

 
 
 
 

Date de dernière mise à jour : 01/04/2021

Ajouter un commentaire