Fiche auteur bac terminale 2024- Emile Chartier dit Alain, biographie, citations, oeuvres principales et philosophie

Textes de référence, réflexions, lexiques de citations et de définitions. Deux commentaires philosophiques, Propos et Mars ou la guerre jugée

Alain

Deux commentaires philosophiques : Propos d'Alain et Mars ou la guerre jugée, Bac Washington 2017 et 2018 ES

Biographie d'Alain dit Emile-Auguste Chartier - ALAIN,Mars ou la guerre jugée, étude d'un extrait du bac 2017, Washington ES

Alain, de son vrai nom Émile-Auguste Chartier, né le  à Mortagne-au-Perche (Orne) et mort le  au Vésinet (Yvelines), est un philosophe, journaliste, essayiste et professeur de philosophie français. Il est rationaliste, individualiste et critique.

L'auteur utilisa différents pseudonymes entre 1893 et 1914. Il signe « Criton » sept « Dialogues » adressés à la très universitaire Revue de métaphysique et de morale (dans laquelle il signe, par ailleurs, plusieurs articles de son vrai nom) ; il signe « Quart d'œil », ou encore « Philibert », ses pamphlets dans La Démocratie rouennaise, journal éphémère destiné à soutenir la campagne du député Ricard à Rouen ; enfin « Alain » ses chroniques dans La Dépêche de Lorient (jusqu'en 1903) puis dans La Dépêche de Rouen et de Normandie de 1903 à 1914.

Alain met au point à partir de 1906 le genre littéraire qui le caractérise, les "Propos". Ce sont de courts articles, inspirés par des événements de la vie de tous les jours, au style concis et aux formules séduisantes, qui couvrent presque tous les domaines

Les maîtres à penser d'Alain furent PlatonDescartesSpinozaKant et Auguste Comte. Le but de sa philosophie est d'apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés.

Principales oeuvres :

  • La théorie de la connaissance des Stoïciens (1891, publié en 1964)
  • Spinoza (1900)
  • Les Cent un Propos d'Alain (2ème série) (1910)
  • Propos d'un Normand (1912)
  • Eléments de philosophie (1916)
  • Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions (1917)
  • Petit Traité d'Harmonie pour les aveugles (en braille, 1918)
  • Mars ou la guerre jugée (1921)
  • Propos sur l'esthétique (1923)
  • Propos sur les pouvoirs - Eléments d'une doctrine radicale (1925)
  • Sentiments, passions et signes (1926)
  • Le citoyen contre les pouvoirs (1926)
  • Les idées et les âges (1927)
  • Propos sur le bonheur (1928)
  • Propos sur l'éducation (1932)
  • Propos de littérature (1934)
  • Propos de politique (1934)
  • Propos d'économique (1935)
  • Souvenirs de guerre (1937)
  • Les Saisons de l'esprit (1937)
  • Propos sur la religion (1938)
  • Eléments de philosophie (1940)
  • Vigile de l'esprit (1942)
  • Préliminaires à la mythologie (1943).

 

Mars ou la guerre jugée - Commentaire philosophique 

Alain y explique que ce qu'il a ressenti le plus vivement dans la guerre, c'est l'esclavage. Il s'insurge contre le mépris des officiers pour les hommes de troupe lorsqu'ils « parlent aux hommes, comme on parle aux bêtes ». Il ne supporte pas l'idée de cette tuerie organisée, de ce traitement que l'Homme inflige à l'Homme.

Il se révolte quand il assiste à la mise au point d'une énorme machine destinée à tenir les hommes dans l'obéissance et explique pourquoi, soldat, il n'a jamais voulu d'autres galons que ceux de brigadier.

Baccalauréat ES

Washington 2017, étude du commentaire d'Alain 

  • SUJET 3 Expliquez le texte suivant :

    La guerre est un fait humain, purement humain, dont toutes les causes sont des opinions. Et observons que l’opinion la plus dangereuse ici est justement celle qui fait croire que la guerre est imminente et inévitable. Sans qu’on puisse dire pourtant qu’elle soit jamais vraie, car si beaucoup d’hommes l’abandonnaient, elle cesserait d’être vraie. Considérez bien ce rapport singulier, que l’intelligence paresseuse ne veut jamais saisir. Voilà une opinion assurément nuisible, et qui peut-être se trouvera vraie, seulement parce que beaucoup d’hommes l’auront eue. C’est dire que, dans les choses humaines qui sont un tissu d’opinions, la vérité n’est pas constatée, mais faite. Ainsi il n’y a point seulement à connaître, mais à juger, en prenant ce beau mot dans toute sa force.Pour ou contre la guerre. Il s’agit de juger ; j’entends de décider au lieu d’attendre les preuves. Situation singulière ; si tu décides pour la guerre, les preuves abondent, et ta propre décision en ajoute encore une ; jusqu’à l’effet, qui te rendra enfin glorieux comme un docteur en politique. « Je l’avais bien prévu. » Eh oui. Vous étiez milliers à l’avoir bien prévu ; et c’est parce que vous l’avez prévu que c’est arrivé. 

    ALAIN,Mars ou la guerre jugée, 1921

    Thème : L'opinion et le jugement ou la vérité faite mais pas constatée
    Thèse : Alain affirme que la guerre est « un fait humain […] dont toutes les causes sont des opinions (l.1) ». Il s'inquiète du caractère dangereux que porte l'opinion et les jugements au lieu du connaître et du constat de la vérité.
    Ce texte mobilise les notions de vérité, jugement et opinion. Il convient alors de les définir lors de votre commentaire de texte afin d'éclaircir les arguments de l'auteur.
    Problématisation :
    Alain écrit que pour ce qui est de l'ordre de « tissus d'opinion », « la vérité n'est pas constatée » (cependant, l'opinion selon laquelle la guerre est inévitable cesse d'être que lorsque les hommes l'abandonnent).

    Le texte pose la question suivante : Quelle est la valeur de l'opinion ? A-t-elle jamais une valeur de vérité ?


    Plan :
    I. L.1 à 5 : Alain part du constat de la guerre pour formuler et illustrer son argumentation autour du danger de l'opinion
    A. Alain attribue l'opinion et « l 'art » de la guerre comme spécificité de l'Homme. Ce lien entre l'opinion et la guerre  propre à l'Homme permet d'argumenter sur le danger qu'est l'opinion et plus encore celle portant sur la guerre.
    B. L'opinion est vraie que parce qu'on la soutient.
    II. L.5 à 10 : Rapport entre l'opinion et la vérité
    A. La véracité de l'opinion dépend du nombre de personnes qui l'a soutiennent et non des faits. Si un grand nombre de personnes pensent que la guerre est inévitable alors elle sera inévitable.
    B. La paresse intellectuelle est responsable de ces opinions et jugements.
    C. Les individus ne s'intéressent plus à reposer la véracité de leurs jugements sur des faits , il les construisent eux-mêmes.
    I. l. 11 à fin : Le jugement comme décision
    A. L'opinion n'est qu'un point de départ au jugement vrai. D'où le rappel d'Alain concernant les preuves de notre opinion que la guerre est inévitable avant de décider de partir en guerre.
    B. L'influence de notre opinion dans la formulation de notre jugement « si tu décides pour la guerre, les preuves abondent ».
    Conclusion
    La vérité est l'adéquation entre un jugement et la réalité dont elle rend compte. L'opinion n'est pas la vérité mais un point de départ à notre jugement. Elle est en elle-même insuffisante. Pour juger le vrai il faut d'une part éradiquer la paresse intellectuelle et d'autre part ne pas suivre les opinions du plus grand nombre. Ce n'est pas le nombre d'individus supportant une opinion quelle qu'elle soit qui peut justifier de sa véracité. 

Citations les plus représentatives d'Alain - Analyse d'un extrait de Propos d'Alain, bac Washington 2018 ES

 

Alain et le bonheur :

Propos sur le bonheur est un ouvrage du philosophe Alain sur l'art d'être heureux, publié en 1925, à Nimes aux Cahiers du Capricorne (une édition augmentée a été publiée en 1928). C'est une anthologie thématique, qui a été composée par un tiers, avec l'assentiment de l'auteur, en rassemblant un certain nombre de "Propos" (93, dans l'édition définitive) parus précédemment dans la presse.

Il est divisé en chapitres brefs et constitue un exemple caractéristique du genre littéraire et philosophique des « Propos » que l'auteur a utilisé tout au long de sa vie (plus de 5 700)

« Penser, c'est vouloir ». Voilà un des traits de la philosophie d'Alain exprimée dans ce texte. Le bonheur n'est pas pour lui un fruit dont on goûterait et jugerait de sa valeur : le bonheur se veut, alors, il peut se faire. Citant Hegel, qui affirme que l'âme immédiate est comme enveloppée de tristesse, Alain nous dit « Il faut que le fouet du maître arrête tous ces hurlements de chiens », et se délivrer du désespoir par l'action. Car c'est l'action qui nous libère de cette complainte. Lorsque le cerveau nous rend tristes, « scier du bois » même est une bonne manière d'oublier cette tristesse.

De même, savoir que la tristesse n'est, comme Alain l'a lu dans le traité Les Passions de l'âme de René Descartes, que le fait d'une physiologie mal disposée, permet selon lui de considérer sa tristesse « comme un cor au pied ». On « casse » alors les ailes de la tristesse pour la renvoyer dans le corps. La tristesse devient alors une stupeur muette.

– “il faut s’appliquer à se consoler, au lieu de se jeter au malheur comme au gouffre. Et ceux qui s’y appliqueront de bonne foi seront bien plus vite consolés qu’ils ne pensent”

– “l’effort qu’on fait pour être heureux n’est jamais perdu”

– “Le bonheur n’est pas quelque chose que l’on poursuit, mais quelque chose que l’on a. Hors de cette possession il n’est qu’un mot”

_ "Le bonheur est beau à voir ; c'est le plus beau spectacle. Quoi de plus beau qu'un enfant ? Mais aussi il se met tout à ses jeux ; il n'attend pas que l'on joue pour lui. Il est vrai que l'enfant boudeur nous offre aussi l'autre visage, celui qui refuse toute joie ; et heureusement l'enfance oublie vite ; mais chacun a pu connaître de grands enfants qui n'ont point cessé de bouder."

Propos sur l'éducation

Alain y développe ses idées sur l'éducation, tirées de sa propre expérience de professeur ; il préconise par exemple la lecture ainsi que le travail personnel des enfants plutôt que les cours magistraux, l'étude des bases scientifiques (par les mathématiques et l'algèbre) pour faire comprendre les phénomènes physiques plutôt que de les expliquer directement, et l'étude de grands textes littéraires (malgré leur éventuelle difficulté) plutôt que de textes conçus pour l'enseignement, et ceci pour tous les enfants, quelle que soit leur origine ou leur condition. Cette pensée est à rapprocher du développement depuis la fin du xixe siècle de l'enseignement obligatoire pour tous (Jules Ferry, Jules Grévy).

En effet, Alain s'insurge, non sans humour, contre les méthodes appréciées des inspecteurs de l'Instruction publique de l'époque. Il considère que c'est l'enfant qui doit travailler avant tout, orienté par le maître, qui de son côté doit avoir le plus de temps libre possible pour organiser sa classe et se cultiver. D'où sa critique des cours magistraux où le maître travaille et les élèves écoutent, c’est-à-dire n'apprennent rien et « méprisent » quelque peu ce maître qui cherche à les intéresser à tout prix (voir les citations représentatives de ce point de vue ci-dessous). Alain reprend (propos XIX) le mot de Napoléon sur l'enseignement, selon lequel il n'y a que deux choses à savoir parfaitement : géométrie et latin — Alain élargit l'enseignement du latin aux grandes œuvres littéraires. « L'enfant a cette ambition d'être un homme ; il ne faut point le tromper ; encore moins lui donner à choisir dans ce qu'il ignore » (propos XIX).

  • « Le défaut de ce qui est intéressant par soi, c'est qu'on n'a pas de peine à s'y intéresser, c'est qu'on n'apprend pas à s'y intéresser par volonté. » (II)
  • « Et enfin il n'y a de progrès, pour nul écolier au monde, ni en ce qu'il entend ni en ce qu'il voit, mais seulement en ce qu'il fait. » (VI)
  • « Si le maître se tait, et si les enfants lisent, tout va bien. » (XXV)
  • « On dit que les nouvelles générations seront difficiles à gouverner. Je l'espère bien. »

 

Autres citations

"Si tu veux concevoir la paix, pose d'abord les armes."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos sur la religion, Le signe de croix, 31 janvier 1914

“Le rire est le propre de l’homme, car l’esprit s’y délivre des apparences”

"En tout c'est l'opportunisme qui est vil, et le pire de tout est d'adorer l'opportunisme, et d'en faire une doctrine."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos, 1er avril 1914

"Une idée que je crois fausse, et à laquelle s'attachent souvent les partis les plus opposés, c'est qu'il faudrait changer beaucoup les institutions et même les hommes, si l'on voulait un état politique passable. Ceux qui ne veulent point du tout de réformes y trouvent leur compte, car ils effraient par la perspective d'un total bouleversement ; ainsi, ne voulant pas tout mettre en risque, on ne changera rien. Et, d'autre côté, les révolutionnaires essaient de faire croire la même chose à leurs amis, les détournant avec mépris des demi-mesures. Or nous vivons de demi-mesures."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos, 24 janvier 1930

"Rien n'est plus dangereux qu'une idée quand on a qu'une idée, j'ai vu courir la plus meurtrière de toutes les idées... Il s'agit d'une théologie nouvelle qui a ses fanatiques et ses martyrs. Un nouveau dieu qui est la source des dieux. Et en même temps un dieu qui parle, qui ordonne, qui récompense, qui punit, un dieu que l'on touche de la main, un dieu sensible au coeur; un dieu qu'il est doux et enivrant d'aimer; qu'il est amer de ne pas aimer. Un dieu qui pardonne des années d'oubli pour un mouvement de sacrifice; un dieu qui se réjouit plus d'une brebis retrouvée que de tout le peuple bêlant fidèle à l'étable. Mais qu'est-ce que c'est ?
C'est la société même sans laquelle l'homme n'est rien et ne serait rien. A force d'étudier les religions primitives, les sociologies ont fini par trouver qu'il n'y avait jamais eu d'autres religions que ce culte, que l'on rend à la société dans les fêtes et cérémonies."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos sur la religion, Un nouveau Dieu, 20 juillet 1930

"Le propre d'une religion est de n'être ni raisonnable ni croyable ; c'est un remède de l'imagination pour des maux d'imagination. [...] Or, ce croire fanatique est la source de tous les maux humains ; car on ne mesure point le croire, on s'y jette, on s'y enferme, et jusqu'à ce point extrême de folie où l'on enseigne qu'il est bon de croire aveuglément. C'est toujours religion ; et religion, par le poids même, descend à superstition."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Les Dieux - 1934

"Ne vouloir faire société qu'avec ceux qu'on approuve en tout, c'est chimérique, et c'est le fanatisme même."
Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951 - Propos
 

 

Analyse d'un extrait de Propos d'Alain, bac Washington 2018 ES

 

Expliquer le texte suivant :
Je ne pense pas que la justice soit si différente du cercle, de l’ellipse, et des vérités de ce genre. Car il est vrai qu’il y a une justice, et chacun la reconnaîtra en ces deux frères partageant l’héritage. L’un d’eux dit à l’autre : « Tu fais les parts, et moi je choisirai le premier; ou bien je fais les parts, et tu choisis. » Il n’y a rien à dire contre ce procédé ingénieux, si ce n’est que les parts ne seront jamais égales, et qu’elles devraient l’être ; et on trouvera aussi à dire que les deux frères ne seront jamais égaux, mais qu’ils devraient l’être. L’utopie cherche l’égalité des hommes et l’égalité des parts ; choses qui ne sont pas plus dans la nature que n’y est le cercle. Mais l’utopiste sait très bien ce qu’il voudrait ; et j’ajoute que si on ne veut pas cela, sous le nom de justice, on ne veut plus rien du tout, parce qu’on ne pense plus rien du tout. Par exemple un contrat injuste n’est pas du tout un contrat. Un homme rusé s’est assuré qu’un champ galeux recouvre du kaolin1 ; il acquiert ce champ contre un  bon  pré; ce  n’est  pas  un  échange.  Il  y  a inégalité  flagrante  entre  les  choses ; inégalité aussi entre les hommes, car l’un des deux ignore ce qui importe, et l’autre le sait. Je cite ce contrat, qui n’est pas un contrat, parce qu’il est de ceux qu’un juge réforme2.  Mais  comment  le  réforme-t-il,  sinon  en  le  comparant  à  un  modèle  de contrat, qui est dans son esprit, et dans l’esprit de tous ? Est-ce que l’idée ne sert pas,  alors,  à  mesurer  de  combien  l’événement  s’en  écarte ? Comme  un  cercle imparfait n’est tel que par le cercle parfait, ainsi le contrat imparfait n’est tel que par le contrat parfait.

ALAIN, Propos, 1932.

1 kaolin : argile précieuse.
2 réforme : ici, invalide, rejette.

Notions :

Droit et politique

Justice et droit

La société, égalité/inégalité

Perfection/imperfection

Problématique : Comment se mesurent l’égalité et la justice ?

Idée principale : A partir d’exemples, Alain montre que nous avons l’idée d’une égalité parfaite, d’une justice parfaite et que ces idées nous servent à se rapprocher d’une parfaite égalité ou d’une parfaite justice dans la réalité, en mesurant la différence entre l’idée et la réalité.

Plan :

On peut distinguer deux mouvements dans le texte, qui serviront de base au plan. Il faut être attentif aux moments du texte, il n’est pas conseillé de vouloir absolument faire un plan en trois parties en commentaire de texte.

« Je ne pense pas (…) mais l’utopiste sait très bien ce qu’il voudrait » : premier exemple et examen de l’idée d’égalité

  1. Comparaison de la justice avec des vérités mathématiques. Raisonnement assez méthodique, scientifique. Alain est cartésien.

  2. Exemple des deux frères se partageant l’héritage. L’égalité n’est pas naturelle, c’est une idée construite comme le sont les vérités mathématiques. L’égalité n’est pas dans la nature mais on peut la rechercher quand même

« et j’ajoute que (…) par le contrat parfait » : deuxième exemple et comparaison de l’idée et de la réalité

  1. La vraie justice est l’égalité : égalité des parts (exemple 1) ou égalité d’informations, égalité face aux situations (exemple 2). Un contrat doit être signé entre deux parties égales donc si il y a une injustice, c’est-à-dire une inégalité, ce n’est pas un vrai contrat. D’où le rôle du juge

  2. Pour faire la différence entre ce qui est juste et ce qui est injuste, entre les situations égales et inégales, il faut qu’une idée existe dans l’esprit de celui qui juge. L’utopiste qui sait e qu’il veut met en avant cette idée. Pour mesurer la justice ou l’égalité d’une situation, la comparaison est un outil utile. L’idée du contrat par exemple telle qu’elle est formulée dans l’esprit du juge est l’idée d’un contrat parfait, comme dans le cas des figures géométriques. La comparaison avec l’idée permet d’établir le degré de perfection/d’imperfection.

 

Textes de référence

Alain, Éléments de philosophie : inconscient

«L'homme est obscur à lui-même, cela est à savoir. Seulement, il faut éviter ici plusieurs erreurs que fondent le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions, et ses ruses, une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. On a peur de son inconscient, là se trouve la faute capitale; un autre Moi qui me conduit qui me connaît et que je connais mal. On s'amuse à faire le fou. Tel est ce jeu dangereux. On voit que toute l'erreur consiste ici à gonfler un terme technique. Au contraire, vertu, c'est se dépouiller de cette vie prétendue. Il faut comprendre qu'il n'y a point de pensée en nous sinon par l'unique sujet Je. Il ne faut point se dire qu'en rêvant on se met à penser. Il faut savoir que la pensée est volontaire; tel est le principe des remords: "tu l'as bien voulu!" [...] En somme il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient. Mais si on le grossit, alors commence l'erreur; et bien pis, c'est une faute.»

Alain, Éléments de philosophie

«Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion; mais c'est à peine s'il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu'il pourrait être seul de son avis.
Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s'interroger eux-mêmes.
Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s'imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui- même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D'où il résulte qu'un État formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord. et devant les autres aussi.»

Alain, Propos

Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.

Alain, Propos sur les pouvoirs - §139

Quand vous aurez rendu les hommes pacifiques, et secourables les uns aux autres seulement par peur, vous établissez bien, il est vrai, une espèce d'ordre dans l'Etat ; mais en chacun d'eux, ce n'est qu'anarchie ; un tyran s'installe à la place d'un autre ; la peur tient la convoitise en prison. Tous les maux fermentent au - dedans ; l'ordre extérieur est instable. Vienne l'émeute, la guerre, ou le tremblement de terre, de même que les prisons vomissent alors les condamnés, ainsi, en chacun de nous, les prisons sont ouvertes et les monstrueux désirs s'emparent de la citadelle.

C'est pourquoi je juge médiocres, pour ne pas dire plus, ces leçons de morale fondées sur le calcul et la prudence. Sois charitable, si tu veux être aimé. Aime tes semblables, afin qu'ils te le rendent. Respecte tes parents, si tu veux que tes enfants te respectent. Ce n'est là que police des rues. Chacun attend toujours la bonne occasion, l'occasion d'être injuste impunément.

Alain, Propos

Il ne faut pas orienter l'instruction d'après les signes d'une vocation. D'abord parce que les préférences peuvent tromper. Et aussi parce qu'il est toujours bon de s'instruire de ce qu'on n'aime pas savoir. Donc contrariez les goûts, d'abord et longtemps.
Celui-là n'aime que les sciences; qu'il travaille donc l'histoire, le droit, les belles-lettres; il en a besoin plus qu'un autre. Et au contraire, le poète, je le pousse aux mathématiques et au tâches manuelles. Car tout homme doit être pris premièrement comme un génie universel; ou alors il ne faut même pas parler d'instruction, parlons d'apprentissage. Et je suis sûr que le rappel, même rude, à la vocation universelle de juger, de gouverner et d'inventer, est toujours le meilleur tonique pour un caractère.

Alain, Esquisses de l'homme - Chapitre XLVII

Date de dernière mise à jour : 01/08/2023

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