Etude linéaire - Les Contemplations, II, L’Ame en fleur «Billet du matin»

Comment Hugo utilise-t’-il une lettre de Juliette pour en faire une méditation philosophique et métaphysique sur l’amour ?

Victor hugo

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

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Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle Victor Hugo, "Les Contemplations", livres I à IV / parcours : Les Mémoires d'une âme

Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle, séries générales et technologiques 

 

 Victor Hugo, "Les Contemplations", livres I à IV / parcours : Les Mémoires d'une âme.
 

Vous pouvez aussi consulter

V. Hugo, Elle était déchaussée, Les Contemplations

Livre I, Aurore au programme bac de français 2022

Commentaire littéraire de Melancholia, Hugo, les Contemplations

livre III, programme EAF 2022

A consulter 

Questionnaires sur Victor Hugo et le romantisme 

 

BILLET DU MATIN

Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,
Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
Je n’ai fait que rêver de vous toute la nuit.
Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : — Tout fuit,
Tout s’éteint, tout s’en va ; ta seule image reste. —
Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
Il semblait que c’était déjà le paradis.
Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis.
Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
Tout ce que l’un de l’autre ici-bas nous aimâmes
Composait notre corps de flamme et de rayons,
Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
Il nous apparaissait des visages d’aurore
Qui nous disaient : C’est moi ! — la lumière sonore
Chantait ; et nous étions des frissons et des voix.
Vous me disiez : Écoute ! et je répondais : Vois !
Je disais : Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ;
Vivons ; c’est autrefois que nous étions des ombres.
Et, mêlant nos appels et nos cris : — Viens ! oh ! viens ! —
Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. —
Éblouis, nous chantions : — C’est nous-mêmes qui sommes
Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
Nous sommes le regard et le rayonnement ;
Le sourire de l’aube et l’odeur de la rose,
C’est nous ; l’astre est le nid où notre aile se pose ;
Nous avons l’infini pour sphère et pour milieu,
L’éternité pour l’âge ; et notre amour, c’est Dieu.

 

Paris, juin 18…

Victor Hugo poète, romancier, dramaturge, politicien et pamphlétaire français est une figure incontournable du XIXe siècle.

- Chef de file du mouvement romantique, il revendique la liberté de l’art et théorise le drame romantique qui rompt avec les règles du théâtre classique.

- En 1856 il publie Les Contemplations. Il s’agit des « mémoires d’une âme », une sorte d’autobiographie où il raconte d’abord sa jeunesse, ses amours, son combat contre la misère sociale et la pauvreté, puis la mort et le deuil de sa fille Léopoldine.

- Le poème sur lequel nous allons nous pencher intitulé « Billet du matin » se trouve dans la section « L’Âme en fleur » qui est consacrée à l’amour, vu depuis le passé, « Autrefois ». Plus précisément la relation passionnelle d’Hugo pour Juliette Drouet sa maîtresse avec laquelle il a eu une liaison pendant 50 ans. L’œuvre construit donc un rapport entre la relation amoureuse réelle et l’écriture de l’amour poétique.

- Par ailleurs, Victor Hugo écrit ce poème pour compenser l’absence de lettre de la part de Juliette, il s’inspire de la phrase d’une de ses lettres pour faire le poème

Problématique

Comment Hugo utilise-t’-il une lettre de Juliette pour en faire une méditation philosophique et métaphysique sur l’amour ?

On note un jeu d’énonciation qui construit le texte et le divise en deux moments.

- le poète crée une conversation terrestre où il s’adresse à l’aimée puis la conversation devient céleste car les corps spirituels parlent et sont à l’origine d’une révélation métaphysique.

la conversation est terrestre du v.1-v.14

La vieille rime « mensonge/songe » (v.1,2) est utilisée par Hugo pour ouvrir le poème.

- Hugo qui est le « Songeur » croit que le rêve a une fonction de connaissance et que grâce au rêve on peut accéder à une forme de vérité

- Mais quelle vérité ?

• On la retrouve dans une subordonnée hypothétique, au présent de vérité générale et dans une tournure généralisante qui prend tout l’espace du vers.

- La notion d' âme-sœur que défend souvent Hugo suggère que lorsque deux personnes s’aiment leurs cœurs sont liés (« les liens des cœurs » v. 1). D’où la diérèse sur « lien » qui sépare ce qui unie.

- C’est un topos, de Platon, dans le Banquet où Aristophane pour expliquer l’amour invente le mythe des androgynes.

- Cette notion est omniprésente sachant qu’il n’y a pas de marqueur du féminin.

• On ne connait pas l’identité du « je » ni de l’interlocuteur

• Cela annule la caractérisation en genre

• Or les deux individus sont rapprochés par le nous qui parcourt le texte (v. 4, 6, 8, 9, 10, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 24, 26, 27) sous différentes formes : « nous-même » v. 21 et notre/nos

- Si ce mythe des androgynes est vrai alors les deux amants ont eu le même rêve. Hugo le montre à travers

• un vocabulaire du rêve placé aux rimes et aux césures.

• La déclaration d’amour en parallélisme entre le vous et le je. « Je n’ai fait que rêver de vous toute la nuit »

- Le registre lyrique est renforcé avec de l’émotivité dans la syntaxe

• l’interjection « oh ! » (v.2) • l’impératif « dites » (en assonance avec « doux » v.2).

- Ensuite le poète raconte son rêve sentimental et érotique.

- Dans « Et nous nous aimions tant ! » (v. 4). L’adverbe d’intensité « tant » est à la césure.

Dans ce rêve, intervient la parole (d’où les verbe de paroles) « vous me disiez » (v. 4). « répondais » (v. 16), le champ lexical, les « appels », les « cris », et enfin le chant (« chantons » v. 21).

- La prosopopée de l’Autre représente la fuite du temps, qui est un topos de la poésie amoureuse (on la trouve chez Baudelaire, Louise Labé) : « Tout fuit/ Tout s’éteint, tout s’en va ; ta seule image reste. » (v. 4,5).

• Cette fuite se voit dans la versification.  Hugo fluidifie le vers avec des contre-rejets (« tout fuit »).

• Ce thème du temps suggère que la mort semble douce. « Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;/ Il semblait que c’était déjà le paradis. » (v. 6,7).

- Le temps des verbes est au passé simple (« nous aimâmes ») et à l’imparfait « composait », « reconnaissions ») donc Victor Hugo parle déjà depuis l’au delà

- Il décrit la révélation qu’il a eue : « Nous avions tous les deux la forme de nos âmes ». (v. 9)

- On remarque qu’il définit l’être en dehors du corps donc l’âme grâce à un tétramètre régulier, : « tout ce que l’un de l’autre ici-bas nous aimâmes » (v. 10).

cf, la métaphore du feu et de la lumière « corps de flammes et de rayons » (v. 11)

la conversation est céleste du v.15-v.28

Hugo qui fait du poème un discours, tente de faire parler ces âmes.

- La synesthésie « la lumière sonore chantait » (v. 14,15) d’une part, montre l’espace traditionnel catholique du paradis lumineux et sonore. D’autre part, elle introduit la notion de chant qui est valorisé par l’enjambement

- De plus, les deux âmes sont en symétrie car elles disent la même chose « c’est moi ! » (v. 13) : puis chacune prononce en symétrie à la césure et à la rime un mot, le verbe à l’impératif « Ecoute »/ « Vois » (v. 16).

- Paradoxalement, cette vision mystique renverse la hiérarchie de valeurs. Comme dans la philosophie platonicienne ou chrétienne, la réalité est ailleurs, dans le Ciel. Par conséquent les vivants sur terre sont des « ombres » (v. 18).

- Les monosyllabes donnent l’impression de soupirs et de cris érotiques.

- Les âmes dans le ciel se rappellent avoir un corps… C’est ce que dit la rime interne aux césures « appels/ rappels » (v. 18,19).

- Ensuite en mêlant « appels » et « cris », le poète aboutit à un chant final qui délivre une vérité poétique et métaphysique.

 - L’enjambement : « nous sommes/Tout ce qui nous semblait » (v. 21, 22) nous rappelle la définition que Dieu donne de lui-même : « Je suis ce que je suis ».

- L’apparence et l’essence s’opposent dans ce vers tautologique « Nous sommes tout ce qui nous semblait », ce qui nous rappelle, le vers « Tout ce que l’un de l’autre, ici-bas nous aimâmes, / Composait notre corps » (v. 10,11).

- En outre, Hugo fait une poésie de l’être ou le verbe être a son sens plein. « Je suis ». Alors qu’il oppose le paradis et la vie sur Terre « la terre des hommes » (v. 22), ces deux mondes se suivent.

- L’énumération « bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant » suggère qu' aimer c’est activer les qualités spirituelles, dans la vie terrestre avant la vraie vie au paradis.

- Hugo qui compose souvent des poèmes lyriques et bucoliques ou la nature est pleine d’âme, reprend ce stéréotype romantique, mais en changeant d’angle car il prend le point de vue des âmes. « Nous sommes le regard et le rayonnement » (v. 24).

- La nature regarde, car elle est personnifiée, elle est donc le symbole de l’œil de Dieu qui regarde en permanence. C’est justement ce que le poète romantique tente de comprendre lorsqu’il contemple la nature.

-  Dieu est la lumière donc le regard est à l’origine de la lumière d’où « le regard et le rayonnement ». Ainsi, la lumière qui se pose sur le monde est le regard des âmes.

- Vers la fin du poème, le monde terrestre et le monde céleste se mélangent dans des métaphores par exemple « l’astre est le nid où notre aile se pose ». (v. 26). 

Hugo reprend une métaphore de Pascal sur l’infini pour donner une mesure du monde spirituel.

• Alors que chez Pascal, l’infini échappe à l’homme ici cet infini est atteint par les âmes.

- Le poète en vient donc à redéfinir l’être : « Nous avons l’infini pour sphère et pour milieu » (v. 27), le temps « l’éternité pour âge » et l’amour : « Dieu » (v. 28).  « Dieu est amour ». Toute la philosophie des Contemplations est basée sur cette équation : aimer c’est accéder au divin

Ainsi, Victor Hugo aborde des thèmes emblématiques de la poésie romantique française : l’amour des âmes et la nature.

- Il parle à Juliette car il s’agit  d’une réponse à une de ses lettres 

- De plus, Hugo évoque la fiction d’une mort souhaitée, lumineuse, heureuse.

- À travers une syntaxe découpée, des enjambements et un mélange des voix, Hugo tente de donner une impression concrète d’âme sœur en pleine métempsychose. Il construit un monde où les corps et les genres ont disparu.

- Néanmoins, on pourrait parler d’autres poèmes : Le poème prologue de « L’Ame en fleur », le poème « Le 1er mai » où le premier vers est : « Tout conjugue le verbe aimer »

Date de dernière mise à jour : 27/11/2022

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