Etude linéaire Colette, Les vrilles de la vigne - En quoi le conte du rossignol est-il une métaphore de la liberté?

Etude linéaire, le rossignol

ColetteEtude linéaire Colette, "Les Vrilles de la vigne"

Lecture du texte
Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’enversdes feuilles de lilas.

Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.

Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattesempêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes.

Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.

 Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Je ne dormirai plus !

Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…

Il varia son thème, l’enguirlanda de vocalises, s’éprit de sa voix, devint ce chanteur éperdu, enivré et haletant, qu’on écoute avec le désir insupportable de le voir chanter.
 

le rossignol est une allégorie de Colette retrouvant sa liberté.

ColetteIntroduction 
Les Vrilles de la vigne est un recueil de Colette publié en 1908, composé de 20 nouvelles, consacré à la nature, aux souvenirs d'enfance et à diverses méditations. La première nouvelle qui donne son titre à l'oeuvre met en scène un rossignol dont l'auteur évoque la légende. Le texte se présente tel un conte, le rossignol, prisonnier d'une vigne, les pattes empêtrées dans les vrilles finit par se libérer après de pénibles efforts. Il se met à chanter toute la nuit, le chant d'une liberté retrouvée. Chanter pour ne plus s'endormir, ne plus jamais se laisser prendre : le rossignol est une allégorie de Colette retrouvant sa liberté.

Problématique 
En quoi le conte du rossignol est-il une métaphore de la liberté?

Mouvements 
Mouvement 1
Situation initiale du conte : le passé légendaire du rossignol
Mouvement 2
L'élément perturbateur du récit : l'emprisonnement de l'oiseau
Mouvement 3
L'élément de résolution du conte : la libération de l'oiseau

Mouvement 1 Situation initiale du conte : le passé légendaire du rossignol

ColetteMouvement 1
Situation initiale du conte : le passé légendaire du rossignol

Colette raconte le passé légendaire du rossignol dont l'adverbe initial "autrefois" ouvre la lecture sur le mode de l'imparfait par les verbes "chantait", "avait", "s'en servait", "se levait", "se couchait". "Autrefois le rossignol ne chantait pas la nuit". 
La situation initiale se rapporte à l'origine du chant nocturne du rossignol désigné par l'article défini "le" et la personnification, "il avait un gentil filet de voix", talentueux, il "s'en servait avec adresse".  
Le cadre temporel est évoqué par les compléments circonstanciels de temps "du matin au soir, le printemps venu", ligne 2, "l'aube". 
Son chant coîncide avec l'aube, "il se levait avec les camarades, dans l'aube grise et bleue". La personnification des oiseaux, ses "camarades" renforce le chant du jour, "l'éveil effarouché" - (cela fait écho à Colette elle-même. Voir l'étude linéaire Car j'aimais tant l'aube). 
La nature offre une minutieuse description de la végétation par les adverbes de situation "à l'envers", "les hannetons endormis à l'envers des feuilles de lilas". Par le déterminant défini pluriel, l'auteure évoque l'espèce en général, "les hannetons". On peut aussi imaginer le jeu de couleurs depuis le vert des feuilles jusqu'au mauve du lilas, puis, le jaune du réséda et de la fleur de vigne, "les vignes en fleur qui sentent le réséda". 
C'est dans cette végétation haute en couleurs que le rossignol se couche avec le soleil, "il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie" pour une courte nuit, "ne faisait qu'un somme jusqu'au lendemain". 

Mouvement 2 L'élément perturbateur du récit : l'emprisonnement de l'oiseau

ColetteMouvement 2
L'élément perturbateur du récit : l'emprisonnement de l'oiseau

L'oiseau cependant ne peut éviter le piège de la vigne. Il se pose et s'endort au gré de ses envies, dans les buissons, "n'importe où, souvent dans les vignes en fleurs qui sentent le réséda".  
L'emprisonnement de l'oiseau dans ces buissons en fleurs constitue l'élément perturbateur. 
L'oiseau prisonnier est décrit par l'oxymore le "gracieux torticolis" qui connote la cruauté de la plante étrangleuse. De plus sa posture donne l'image d'un oiseau au "jabot en boule et à la tête inclinée". Car "Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces... les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté". Les adjectifs "tenaces et cassantes" évoquent le végétal en mouvement. "Les cornes de la vrilles" animalisent le végétal dont la vision sensorielle domine et suggère malgré tout une harmonie entre la nature et l'animal. Ces plantes de l'aube "sentent le réséda", à l'odorat, le goût connoté par "l'acidité d'oseille fraîche" s'ajoute et se complète par le toucher "des liens", "ligotés". L'ambivalence de la plante dont les "les vrilles de la vigne" sont "cassantes et tenaces" se révèle à la fois forte et fragile, "dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère". 
Le champ lexical du piège, de l'emprisonnement domine le texte, "ligoté", "les pattes empêtrées", "les liens", "les ailes impuissantes".  
 

Mouvement 3 L'élément de résolution du conte : la libération de l'oiseau

ColetteMouvement 3
L'élément de résolution du conte : la libération de l'oiseau

La libération de l'oiseau en énumération "il crut mourir, se débattit, ne s'évada qu'aux prix de mille peines" accentue par son rythme ternaire et la présence des verbes au passé simple les efforts répétés et volontaires de l'animal prisonnier comme le suggère l'hyperbole "mille peines" et la négation restrictive "ne...que". 
C'est l'élément de résolution du conte. L'oiseau "de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de vigne pousseraient".
C'est pourquoi "il chante pour se tenir  éveillé", par ce chant de célébration de sa liberté retrouvée, le lecteur comprend pourquoi le rossignol ne chante que la nuit. 
La musicalité du texte fait écho au chant de l'oiseau et l'oiseau au poète. 
La métaphore de la liberté est une transformation du rossignol au chant magnifique dont l'assonance en "a", "il varia son thème, l'enguirlanda de vocalise" évoque la virtuosité à tel point "qu'il s'éprit de sa voix", "il devint ce chanteur éperdu, enivré, haletant". 
Un rythme ternaire à hauteur du lyrisme du chanteur dont le talent éclatant le rend irrésistible et éveille l'envie, le "désir insupportable de le voir chanter". C'est un spectacle musical. 

 

Conclusion. 
Ainsi, ce texte qui se présente comme un conte évoque la légende du rossignol, son emprisonnement, sa libération et fait de cette poésie, une métaphore de la liberté. Ce conte métaphorique célèbre la liberté retrouvée et fait écho au travail d'écriture de Colette et à sa célébration du monde sauvage. 


 

Colette, la célébration du monde. Sido et les Vrilles de la vigne

Colette Célébration du monde

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