4e, Vivre en société - Individu et société-La notion de conflit au théâtre (Corneille, Marivaux), dans les romans

Le conflit dans un roman, No et Moi de Delphine de Vigan-Fahrenheit 451 Ray Bradbury-Le conflit au théâtre - LE CID de CORNEILLE-MARIVAUX, L’ÎLE DES ESCLAVES-

Marivaux 1

Présentation du questionnement

En quatrième, l'accent portera davantage sur la confrontation de certaines valeurs qui guident les modes de pensée et les comportements des personnages avec les valeurs collectives. On montrera comment l'opposition entre un individu (ou un groupe d'individus) et l'ensemble du corps social se développe et s'exprime à travers différentes formes littéraires, souvent dramatiques ; comment elle peut être dépassée (et les risques qu'on encourt à ne pas y parvenir), grâce à toutes les formes d'expression symboliques.

Mots clés : dilemme / conflit intérieur ; refus / révolte / rébellion / insurrection / révolution ; valeur / principe / idée / jugement ; transgression / obéissance ; acceptation / intégration / assimilation ; etc.

Corpus et pistes de lectures cursives

Propositions de corpus

Groupement de textes : dramatisation du conflit.  Un contre tous et tous contre un !

Problématiques

Peut-on considérer que le conflit est l’essence de l’action théâtrale ?

Comment le théâtre favorise-t-il le débat d’idées ?

Exemples de mise en œuvre

Héroïsme d'état, héroïsme du cœur (Corneille, Horace)

Une île renversante (Marivaux, L'île des esclaves)

Activité orale : Théâtre & Roman photo

Prolongements et croisements

En français

Lire Le Visiteur d’Éric-Emmanuel Schmitt : cette pièce met en scène Freud et un élégant visiteur ; elle ménage suspense et rebondissements dans une intrigue policière. Elle permet surtout des scènes de confrontation abordant des questions telles le conflit entre raison et intuition, la place de l’homme dans le monde, etc.

En interdisciplinarité

À partir d’une vidéo, faire écrire les élèves sur « La liberté d’expression » : travail à mener en collaboration avec le professeur d’histoire-géographie, dans le cadre de l’EMC. Demander aux élèves d’écrire ce qu’évoquent les mots « liberté d’expression » pour eux. Leur proposer de visionner la vidéo réalisée par le Ministère de la Culture et de la communication : À l’issue du visionnage, leur demander de répondre à cette question : « Pourquoi est-il fondamental de préserver la liberté d’expression ? »

Dessinez, Créez, Liberté : un clip pour la liberté d’expression

Ministère de la Culture

Ministère de la Culture

Au lendemain des attentats de janvier 2015, des centaines d’enfants et adolescents ont spontanément envoyé àCharlie Hebdo des dessins célébrant la liberté d’expression, les valeurs de la République et la laïcité, en hommage aux victimes. Ces dessins ont été rassemblés par l’association « Dessinez, Créez, Liberté», soutenue par Charlie, SOS Racisme, la FIDL, le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur.

La notion de conflit

Le conflit dans un roman, No et Moi de Delphine de Vigan


No et moi tea 9782709631198 0Delphine de Vigan

est une romancière et réalisatrice française née le 1er mars 1966 à Boulogne-Billancourt. Elle est l'auteur de sept romans dont No et moi en 2007 qui a été couronné par le prix des libraires.

Après divers petits emplois, elle a occupé à Alfortville un poste de cadre dans un institut de sondage. Aujourd’hui, mère de deux enfants, elle vit de sa plume depuis 2007.

Son premier roman, Jours sans faim, est paru en 2001 aux éditions Grasset sous le pseudonyme de Lou Delvig : il s’agit d’un roman autobiographique sur le combat et la guérison d’une anorexique de 19 ans.

Delphine de Vigan a publié ensuite sous son nom en 2005 Les Jolis Garçons, bref roman (150 pages) constitué par trois histoires d’amour d’une jeune femme, Emma (JC Lattès, 2005). Puis, creusant le thème des difficultés amoureuses et de la mémoire, elle a publié en 2006 Un soir de décembre, qui a obtenu le prix littéraire Saint-Valentin 2006.

Explorant une thématique nouvelle, No et moi est paru en 2007 aux éditions Lattès. Ce « roman moral » à succès sur une adolescente surdouée qui vient en aide à une jeune SDF a été récompensé par le prix du Rotary international 2009 et par le prix des libraires 2009. Il a été traduit en vingt langues et une adaptation au cinéma a été réalisée par Zabou Breitman, film sorti le 17 novembre 2010

LES PERSONNAGES :

NO (nolwen) : NO est une jeune fille de 18 ans sans domicile fixe née d un viol rejetée par ses parents et élevée par ses grands parents puis placée en famille d'accueil sans domicile fixe ,elle est solitaire , sauvage , rebelle ,maigre , affamée et semble fatiguée avec des vêtements sales ...

LOU BERTIGNAC (le moi du titre ) : LOU est une adolescente refermée sa mère est dépressive depuis que sa petite sœur thaïs est décédée (sa mère ne s'est plus occupée delle depuis ce moment là) son père fait semblant que tout va bien ,il n'est pas la pour elle et puis au lycée LOU est toute seule sans ami du fait de son QI a 160 les autres l'appellent "le cerveau" . Lou est une jeune fille très curieuse avide de découverte , elle dissèque tous ce quelle trouve ,elle fait des expériences surréalistes ... elle aime aussi passer des moments à la gare pour regarder les gens se retrouver . Mais Lou a des défauts elle est naïve elle est encore dans un âge ou on pense que tout peu s'arranger ... d ailleurs pendant le roman elle va grandir on va le voir a partir du moment ou elle dit que " les choses sont comme elles sont "

LUCAS : Lucas est le dernier de la classe il est âgé de 17 ans c'est lui qu'aime secrètement Lou (l'apparition de NO va les rapprocher tout deux vont se battre pour la même cause : sauver NO )

Le conflit dans un roman = Fahrenheit 451 Ray Bradbury : la description d'une société apocalyptique - Ce qui a causé l’émergence d’une telle société

Ray bradburyLe genre

Fahrenheit 451 est une dystopie. Il s'agit d'une contre-utopie, un récit qui déroule la vision pessimiste d'un futur sombre, souvent totalitaire, à l'opposé de toute amélioration ; à visée didactique, l’œuvre appartient au genre de l’apologue.

Une allégorie possible : le maccarthysme

L’œuvre serait une condamnation du maccarthysme. Elle présente de nombreux points communs avec la situation aux États-Unis en 1952; en effet, dans l’œuvre, les intellectuels sont éliminés sur dénonciation de leurs voisins dans le but d’assurer la sécurité nationale (une seule parole, donc pas de naissance de mouvements de contestation) et le « bonheur commun ».

La description d’une société apocalyptique

La société déshumanisée décrite par Fahrenheit 451 montre que de nombreuses valeurs humaines ont disparu : l’amour, puisque Montag et sa femme ne se rappellent plus leur première rencontre; l’intelligence, les gens se contentant de l’opinion officielle et les « gardiens de la vérité » eux-mêmes, comme Beatty, ne comprenant pas ce qu’ils disent, puisque d’après eux la culture et le dialogue se résument à un échange de citations; la communication, chacun faisant preuve d’un égoïsme forcené. Les gens sont redevenus des enfants, ils vivent dans l’immanence et l'indifférence et veulent uniquement agir : « Les gens ne parlent de rien. » Enfin, cette société est probablement redevenue primitive, puisqu’elle pratique le culte de la violence, au nom du bonheur.

Ce qui a causé l’émergence d’une telle société

Les méfaits de l’émergence d’une culture de masse. Comme le décrit le pompier Beatty, l’émergence d’une telle société n’a été rendue possible que par l’émergence d’une culture de masse, facilitée par la déliquescence du système scolaire :« Le cinéma et la radio, les magazines, les livres sont nivelés par le bas en une vaste soupe ». Les gens se sont désintéressés de la culture et ont préféré faire du sport ou regarder la télévision.
L’absence de mobilisation des intellectuels. La situation a aussi été rendue possible par le fait que les intellectuels comme Faber ne se soient pas mobilisés : « J’ai vu où on allait, il y a longtemps de ça. Je n’ai rien dit. Je suis un de ces innocents qui auraient pu élever la voix quand personne ne voulait écouter les « coupables ». » Ce message peut être considéré comme un appel à la communauté des intellectuels pour qu’ils se mobilisent contre l'analphabétisation de la société.

Lire le contrôle de lecture 
 

 

Le conflit au théâtre - LE CID de CORNEILLE - Le Cid contient plusieurs « conflits cornéliens » = le conflit de l'amour et de l'honneur.

Corneille le cid


Résumé Pièce de théâtre racontant les amours contrariés de Rodrigue, jeune noble espagnol, et Chimène (a un prétendant rival Don Sanche). Après une violente altercation entre le père de Chimène (Don Gomez) et le père de Rodrigue (Don Diègue), Don Diègue, qui a reçu un soufflet de Don Gomez, demande à son fils de le venger. Dilemme Cornélien entre l’amour et l’honneur. Rodrigue choisit l’honneur et tue Don Gomez en duel. Il part ensuite combattre les Maures et revient victorieux .Chimène essaie de renier son amour et demande la tête de Rodrigue au roi qui propose un duel entre Rodrigue et Don Sanche. Chimène devra épouser le vainqueur. Rodrigue, victorieux, reçoit la main de Chimène.

Conflits divers avec diverses solutions apparaissent tout au long de l’œuvre. Le Cid contient plusieurs « conflits cornéliens » dans lesquels chaque personnage est forcé de prendre des décisions très complexes

Conflit historique.  La France était alors divisée en provinces tenues par de grandes familles féodales. En face se dressait un pouvoir unique : le pouvoir du roi. La pièce de théâtre « Le Cid » développe le thème du conflit entre la noblesse et le pouvoir royal.

- Conflit politique, conflit de société.  Les écrivains de la société française vont entrer en conflit avec Corneille, lui reprochant de ne pas respecter les règles de l’époque dans la rédaction d’une pièce de théâtre (unité d’action, unité de temps, unité de lieu…)

Conflit d’intérêt entre Don Diègue et Don Gomez. (l’honneur prévaut, il y a substitution de personnage) Don Diègue est nommé par le roi gouverneur du prince héritier plutôt que Don Gomez. A la sortie du conseil, Don Gomez devient furieux, il cherche querelle à Don Diègue et lui donne un soufflet qui est ainsi une provocation pour un duel.

Conflit intérieur (Rodrigue contre Rodrigue) (le seul médiateur : l’honneur) La maitrise de soi des personnages et ici celle de Rodrigue qui, seul, est tiraillé entre amour et devoir découle de leur force intérieure soumise au principe de l’honneur plutôt qu’à une force rationnelle.

Consulter le contrôle de lecture et questionnaire 

 

MARIVAUX, L’ÎLE DES ESCLAVES, 1725 - En quoi le conflit qui oppose le maître et le valet est-il le bon moyen pour transformer le cœur des personnages ?

Marivaux 1MARIVAUX, L’ÎLE DES ESCLAVES, 1725

 

 

Pièce en un acte

Résumé : Iphicrate et Arlequin ont échoué sur une île à la suite du naufrage de leur navire. Iphicrate révèle à Arlequin la coutume du lieu : les rôles de maître et d’esclave s’inversent. Ils partent à la recherche de survivants mais Arlequin cesse d’obéir et devient insolent. Ils retrouvent Euphrosine qui subit l’humiliation de sa servante. Pourtant il ne s’agit pas d’exercer une vengeance, la leçon est faite pour que le maître apprenne ce qu’est la bonté en faisant l’expérience de la souffrance

Enjeux littéraires et de formation personnelle définis par les programmes

• Découvrir à travers des textes dramatiques la confrontation des valeurs portées par les personnages.

• Comprendre que l’action dramatique a partie liée avec les conflits.

• S’interroger sur les conciliations possibles.

Problématiques

En quoi le conflit qui oppose le maître et le valet est-il le bon moyen pour transformer le cœur des personnages ?

Peut-on parler d’une pièce « pré-révolutionnaire » ?

Quels outils linguistiques et dramaturgiques Marivaux met-il en œuvre pour développer le conflit ?

Objectifs d’apprentissage :

La pièce de Marivaux permet d’étudier :

le genre théâtral, la comédie ;

• les valeurs morales individuelles qui construisent la vie en société ;

• la critique, sur le mode utopique, de la société du XVIIIe siècle.

 

L’île des esclaves, Marivaux, 1725

Le courant littéraire de L'Ile des esclaves :

Les Lumières. La comédie en un acte (11 scènes) de Marivaux est marquée par un thème socio-politique : la critique de l'ordre social et de la hiérarchie religieuse. Elle s'inscrit à la fois dans le théâtre de Marivaux - avec le jeu du travestissement et le thème de l'amour - et dans la pensée du 18°s.

Les personnages principaux :

- Iphicrate, général athénien. En grec, son prénom renvoie à son ordre social et signifie celui qui gouverne par la force.

- Arlequin, esclave d'Iphicrate. C'est un personnage célèbre de la commedia dell'arte. Son ton est très familier. Dans la pièce, il change momentanément de statut pour devenir le maître d'Iphicrate. Peu rancunier, il pardonne ses excès à son maître. Pour lui, rien ne porte à conséquences.

- Euphrosine, dame athénienne. Comme Arlequin, elle est issue de la Commmedia dell'arte. C'est la maîtresse de Cléanthis. Coquette et de mauvaise foi, elle refuse de reconnaître ses défauts à Trivelin
- Cléanthis, esclave d'Euphrosine et maîtresse d'Arlequin. Rancunière, elle profite de son renversement de statut pour assouvir sa vengeance et refuse d'abord de rendre son statut de maître.
- Trivelin, gouverneur de l'île. Il s'agit d'un ancien esclave, qui a supprimé les maîtres à son arrivée sur l'île par désir de vengeance. Dans la pièce il est compatissant envers les maîtres durant la passation de pouvoirs.

 

 

La comédie



La comédie de l'époque classique est très fortement dominée par la figure de Molière même si les auteurs comiques étaient fort nombreux. La comédie est beaucoup moins encadrée par des règles explicites que la tragédie car, considérée comme un genre mineur, les théoriciens ne s'y intéressent guère. On ne dispose d'ailleurs pas de la partie de la Poétique qu'Aristote aurait consacré aux œuvres comiques. 

Pour autant, un auteur comme Molière essaie de redonner une forme de noblesse à la comédie et s'inspire pour cela des règles du théâtre classique. Si l'unité d'action est rarement respectée, l'unité de lieu et de temps l'est assez souvent. Surtout, à la suite de Corneille, il travaille la comédie d'intrigue inspirée des comédies latines de Térence et Plaute. Il s'inspire donc des Anciens. Mais il s'éloigne également de la farce pour contribuer au développement de comédies nouvelles. Elles sont fondées sur des intrigues complexes et peuvent être jouées en trois ou cinq actes. Leurs personnages ne peuvent certes pas appartenir à la grande noblesse, mais ils relèvent souvent de la bourgeoisie ou de la petite noblesse. De ce fait, si le langage est de registre courant et parfois même familier, le style n'est pas nécessairement très bas. Certaines comédies sont même écrites en alexandrins. Molière se sert des effets comiques assez grossiers hérités de la farce et de la commedia dell'arte (bastonnades, quiproquos etc.), mais ses comédies sont à la recherche d'un équilibre qui n'est pas sans rapport avec le bon goût classique. 

La dimension morale présente dans la tragédie se retrouve également dans la comédie. Les comédies se moquent en effet des défauts des hommes. Les spectateurs devraient ainsi pouvoir s'éloigner des défauts représentés en riant du ridicule des personnages. Quand Molière ridiculise l'hypocrisie des faux dévots dans Tartuffe, il espère lutter contre cette hypocrisie. La célèbre formule «castigat ridendo mores » est d'origine incertaine mais elle a été reprise par Molière. Elle exprime une idée développée par Horace dans son art poétique et résume cette volonté d'utiliser le rire comme vecteur d'instruction. 

Scène 3, l'Île des esclaves Marivaux. Lecture de la scène

TRIVELIN, à part, à Euphrosine - Il faut que ceci ait son cours; mais consolez-vous, cela

 finira plus tôt que vous ne pensez. (A Cléanthis.) J'espère, Euphrosine, que vous perdrez

votre ressentiment, et je vous y exhorte en ami. Venons maintenant à l'examen de son

caractère : il est nécessaire que vous m'en donniez un portrait, qui se doit faire devant la

personne qu'on peint, qu'elle se connaisse, qu'elle rougisse de ses ridicules, si elle en a, et

qu'elle se corrige. Nous avons là de bonnes intentions, comme vous voyez. Allons,

commençons.

CLÉANTHIS - Oh! que cela est bien inventé! Allons, me voilà prête; interrogez-moi, je suis

dans mon fort.

EUPHROSINE, doucement - Je vous prie, Monsieur, que je me retire, et que je n'entende

point ce qu'elle va dire.

 TRIVELIN - Hélas! ma chère dame, cela n'est fait que pour vous; il faut que vous soyez

présente.

CLÉANTHIS - Restez, restez; un peu de honte est bientôt passé.

TRIVELIN - Vaine, minaudière et coquette, voilà d'abord à peu près sur quoi je vais vous

interroger au hasard. Cela la regarde-t-il?

 CLÉANTHIS - Vaine, minaudière et coquette, si cela la regarde? Eh! voilà ma chère

maîtresse; cela lui ressemble comme son visage.

EUPHROSINE - N'en voilà-t-il pas assez, Monsieur?

TRIVELIN - Ah! je vous félicite du petit embarras que cela vous donne; vous sentez, c'est

bon signe, et j'en augure bien pour l'avenir : mais ce ne sont encore là que les grands traits;

détaillons un peu cela. En quoi donc, par exemple, lui trouvez-vous les 65 défauts dont nous

parlons?

CLÉANTHIS - En quoi? partout, à toute heure, en tous lieux; je vous ai dit de m'interroger;

mais par où commencer? je n'en sais rien, et je m'y perds. Il y a tant de choses, j'en ai tant

vu, tant remarqué de toutes les espèces, que cela se brouille. Madame se tait, Madame

 parle; elle regarde, elle est triste, elle est gaie : silence, discours, regards, tristesse et joie,

c'est tout un, il n'y a que la couleur de différente; c'est vanité muette, contente ou fâchée;

c'est coquetterie babillarde, jalouse ou curieuse; c'est Madame, toujours vaine ou coquette,

l'un après l'autre, ou tous les deux à la fois : voilà ce que c'est, voilà par où je débute; rien

que cela.

 EUPHROSINE - Je n'y saurais tenir.

TRIVELIN - Attendez donc, ce n'est qu'un début.

CLÉANTHIS - Madame se lève; a-t-elle bien dormi, le sommeil l'a-t-il rendue belle, se sentelle

du vif, du sémillant dans les yeux? vite, sur les armes; la journée sera glorieuse. "Qu'on

m'habille!" Madame verra du monde aujourd'hui; elle ira aux spectacles, aux promenades,

 aux assemblées; son visage peut se manifester, peut soutenir le grand jour, il fera plaisir à

voir, il n'y a qu'à le promener hardiment, il est en état, il n'y a rien à craindre.

TRIVELIN, à Euphrosine - Elle développe assez bien cela.

CLÉANTHIS - Madame, au contraire, a-t-elle mal reposé? "Ah! qu'on m'apporte un miroir;

comme me voilà faite! que je suis mal bâtie!" Cependant on se mire, on éprouve son visage

 de toutes les façons, rien ne réussit; des yeux battus, un teint fatigué; voilà qui est fini, il faut

envelopper ce visage-là, nous n'aurons que du négligé, Madame ne verra personne

aujourd'hui, pas même le jour, si elle peut; du moins fera-t-il sombre dans la chambre.

Cependant, il vient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visage de Madame? on

croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-là à ses bonnes amies? Non, il y a remède à

 tout : vous allez voir. "Comment vous portez-vous, Madame? - Très mal, Madame; j'ai perdu

le sommeil; il y a huit jours que je n'ai fermé l'oeil; je n'ose pas me montrer, je fais peur." Et

cela veut dire : Messieurs, figurez-vous que ce n'est point moi, au moins; ne me regardez

pas, remettez à me voir; ne me jugez pas aujourd'hui; attendez que j'aie dormi. J'entendais

tout cela, car nous autres esclaves, nous sommes doués contre nos maîtres d'une

 pénétration!... Oh! ce sont de pauvres gens pour nous.

TRIVELIN, à Euphrosine - Courage, Madame; profitez de cette peinture-là, car elle me

paraît fidèle.

EUPHROSINE - Je ne sais où j'en suis.

- CLÉANTHIS - Vous en êtes aux deux tiers; et j'achèverai, pourvu que cela ne vous ennuie pas. 

TRIVELIN - Achevez, achevez; Madame soutiendra bien le reste.

CLÉANTHIS - Vous souvenez-vous d'un soir où vous étiez avec ce cavalier si bien fait?

J'étais dans la chambre; vous vous entreteniez bas; mais j'ai l'oreille fine : vous vouliez lui

plaire sans faire semblant de rien; vous parliez d'une femme qu'il voyait souvent. "Cette

 - femme-là est aimable, disiez-vous; elle a les yeux petits, mais très doux"; et là-dessus vous

ouvriez les vôtres, vous vous donniez des tons, des gestes de tête, de petites contorsions,

des vivacités. Je riais. Vous réussîtes pourtant, le cavalier s'y prit; il vous offrit son coeur. "A

moi? lui dîtes-vous. - Oui, Madame, à vous-même, à tout ce qu'il y a de plus aimable au

monde. - Continuez, folâtre, continuez", dîtes-vous, en ôtant vos gants sous prétexte de

  - m'en demander d'autres. Mais vous avez la main belle; il la vit, il la prit, il la baisa; cela

anima sa déclaration; et c'était là les gants que vous demandiez. Eh bien! y suis-je?

TRIVELIN, à Euphrosine - En vérité, elle a raison.

Quels sont les autres thèmes dans l'oeuvre de Marivaux ?

Par une « peinture fidèle » d’après Trivelin, Cléanthis démasque sa maîtresse. En jouant son portrait, elle l'a décrite et met en exergue ses défauts. On retrouve le champ lexical du miroir, de la vue «? grands traits? » «? visage? » «? plaisir à voir? » «? un miroir? » «? me montrer? » «? ne me regardez pas? » «? me voir? » «? peinture? »

Nous avons à la fois un travestissement des rôles entre Cléanthis et Euphrosine qui deviennent chacune l’autre et une mise en abyme. Cléanthis joue un autre personnage, elle représente les comédiens, et Euphrosine assiste à son portrait et représente le public «? profitez de cette peinture-là? »,  elle «? profite? » donc à la scène. Trivelin lui peut être considéré metteur en scène.

Le but de la comédie étant de corriger les mœurs des hommes, on peut dire que Cléanthis et Trivelin en voulant corriger les mœurs d’Euphrosine, symbolisent et représentent Marivaux qui à travers la comédie cherche à corriger tous les hommes.

 

L'utopie :

Le thème de l'utopie ne se retrouve pas vraiment dans le Jeu de l'amour et du hasard, on note une utopie sociale dans l'île des esclaves qui n'est pas sans rappeler Thomas More et son île paradisiaque. Rappelons qu'une utopie par définition est un endroit qui n'existe nulle part d'un point de vue étymologique; Donc l'île des esclaves est une utopie car au niveau social Marivaux donne l'image d'une île absolument paradisiage, un idéal de vie au sens d'un exemple de société dans laquelle règnerait un ordre inversé dans la domination des esclaves-maîtres.

La relation maîtres/ Valets :

Inversion des pouvoirs dans le but de remettre en cause l'ordre établi.

Marivaux est-il réformateur?

On pourrait croire que oui, mais en fait, Marivaux reste prudent car il ne propose pas vraiment de nouveaux schémas de société. L'inversion des rôles est plus moraliste que réformatrice car à la fin de la pièce dans l'île des esclaves tout revient à la normale. Ce jeu théâtral basé sur l'inversion des rôles a essentiellement pour fonction de remettre en cause les rapports de domination dans un certain esprit moraliste mais aucune réforme de fond n'est abordée par Marivaux.

Les procédés qui visent à la contestation chez Marivaux.

La comédie = son but est de corriger le jeu social par le rire et le comique.

Le jeu de l'amour et du hasard et l'île des esclaves

Comique (quiproquos) : des quiproquos révélateurs de l'aliénation sociale dénoncée + esprit critique de Marivaux dans l'île des esclaves et Le Jeu de l'amour et du hasard = miroir critique, relation maîtres et valets.

Quels sont les moyens de Marivaux?

Travestissement et masque, l'espace scénique est toujours inscrit dans le jeu chez Marivaux. Les rôles sont échangés entre maîtres et valets dans le Jeu de l'amour et du hasard. On retrouve l'idée de travestissement dans l'île des esclaves mais il est mis en place de manière obligatoire et forcée chez Euphrosine, Cléanthis, Iphicrate et Arlequin.

Le valet devient maître = une transgression qui permet de contester l'aliénation sociale et les codes de l'amour.

La symbolique des personnages maîtres et valets

Le thème maître/valet est récurrent dans le théâtre et surtout dans la comédie. Le théâtre est le reflet d’une réalité sociale et cette thématique permet différentes exploitations. Cette relation est l’image de la société, il y a des nobles, riches et instruits qui dominent et les autres qui subissent. Elle peut aussi donner naissance à beaucoup de comiques variés. C’est une relation oscillant entre rivalité et complicité, pleine d’oppositions. Souvent très stéréotypés, ce sont des personnages appréciés du public.

Intérêt dramaturgique du travestissement et de la mise en abyme

Le travestissement est un procédé utilisé notamment par Marivaux et qui lui permet de mettre en avant le caractère ou un trait de caractère ou de remettre en question l’ordre établi. Les personnages changent d’identité et donnent un aspect plus singulier à la pièce et permettent d’accentuer certains détails.

La mise en abyme singularise la pièce et la vitalise.

Date de dernière mise à jour : 17/07/2021

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