Le bonheur, philosophie- Peut-on être heureux sans être libre? En étant injuste? Pour trouver le bonheur,faut-il le chercher?

Qu'est-ce que le bonheur? Définir pour problématiser -L’eudémonisme antique -conception aristotélicienne , épicurienne,stoïcienne-Le bonheur est-il la satisfaction de tous les désirs? Platon, Gorgias-

Aristote

Qu'est-ce que le bonheur? Définir pour problématiser

Le bonheur

Etymologiquement :

Etymologiquement, bonheur fait référence à « la chance, au hasard. »  vient de l’expression « bon eür ». « Eür » est issu du latin augurium qui signifie  « chance », c’est l’appui des dieux.

Le bonheur, c'est en français la chance, mais aussi l'état de la conscience pleinement satisfaite. (Dictionnaire Le Robert).

On distinguera le bonheur de la joie ou du plaisir : le bonheur renvoie à un état de satisfaction durable (une joie peut être éphémère) et profond (un plaisir peut être superficiel).

Si l'on définit le bonheur par sa durée, quels problèmes pose cette définition? 

 Le bonheur est-il une illusion? 

Dépend t'-il de nous d'être heureux? 

Autrui peut-il faire mon bonheur? 

Le bonheur est défini comme un état durable de satisfaction de tous les désirs. Est heureux celui qui ne souffre plus d’aucun manque ou frustration (désir insatisfait), ni d’aucune angoisse (peur qu’un désir se trouve insatisfait). (Voir la doctrine épicurienne du bonheur, selon laquelle le bonheur est un état de “plénitude”, où ne subsiste aucun trouble de l’âme ni du corps.)

Mais le bonheur est difficile à définir dans la mesure où il est une affaire individuelle voici ce qu’en dit le philosophe Blaise Pascal : « Tous les hommes recherchent d’être heureux ; cela est sans exception ; quelques différents moyens qu’ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n’y vont pas, est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre »  Blaise Pascal, Pensées.

Quelques définitions du bonheur

Aristote : “S’il est vrai que le bonheur est l’activité conforme à la vertu, il est de toute évidence que c’est celle qui est conforme à la vertu la plus parfaite, c’est-à-dire celle de la partie de l’homme la plus haute. C’est l’activité de cette partie de nous-mêmes, activité conforme à sa vertu propre qui constitue le bonheur parfait”

Kant : “Le pouvoir, la richesse, la considération, même la santé ainsi que le bien-être complet et le contentement de son état, est ce qu’on nomme le bonheur”

L’eudémonisme antique - La conception aristotélicienne , épicurienne et stoïcienne - Le bonheur est le Bien suprême selon l’eudémonisme

L’eudémonisme antique

Dans la philosophie antique, le bonheur est le souverain Bien, c’est-à-dire, la fin suprême à laquelle toutes les autres fins sont subordonnées. Le bonheur par conséquent n’est pas un don. Il est en notre pouvoir. Par opposition à la pensée commune, il est nécessaire d’opposer le plaisir et le bonheur. Le plaisir est éphémère tandis que le bonheur par opposition à l’agréable est durable. Donc le plaisir et l’agréable peuvent tout au plus en être l’accompagnement.

La conception aristotélicienne , épicurienne et stoïcienne

Selon Aristote, Épicure et les stoiciens, le bonheur est durable; il n’est pas dissociable d’une vie vertueuse fondée sur la raison;La raison est le propre de l’homme, elle doit guider ses choix.

Une vie heureuse serait par conséquent une vie conforme à la raison.

le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu, et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles. Mais il faut ajouter : « et cela dans une vie accomplie jusqu’à son terme », car une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul : et ainsi la félicité et le bonheur ne sont pas davantage l’œuvre d’une seule journée, ni d’un bref espace de temps.

Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 6

Pour Épicure, il faut régler ses désirs sur la nature. Pour les stoiciens, l’homme doit accepter l’ordre du monde. Le bonheur est une absence de trouble. Pour Aristote, le bonheur est l’activité et la vertu propres à chaque être. Celle de l’homme est de penser; une vie heureuse est une vie pleinement humaine c’est-à-dire, délivrée du besoin et tournée vers l’intelligence.

 

Le bonheur est le Bien suprême selon l’eudémonisme

L’eudémonisme est donc une morale qui affirme que le bonheur est le Bien suprême. Selon Aristote, le bonheur est la fin anhypothétique, elle ne suppose aucune autre fin en dehors d’elle, vis-à-vis de la vie morale. Si nous désirons santé, beauté, richesse, c’est toujours en vue du bonheur. Pour savoir en quoi consiste le bonheur qui est la fin propre, il faut noter que tout homme vise sa fin propre lorsqu’il accomplit sa fonction propre. Aristote appelle vertu cet accomplissement d’une fonction, par exemple la vertu de l’œil est de voir. La fonction de l’homme, c’est la vie selon la raison; c’est par la vertu que l’on atteint le bonheur; elle nous pousse à rechercher la juste mesure; de cette orientation théorique de l’éthique découlent des impératifs en particulier celui-ci :

Une notion grecque, le kairos, le moment opportun

Cela suppose le respect du kairos : le moment opportun. Il faut savoir choisir le bon moment pour agir car il y a mille façons de mal faire tandis qu’il n’y en a qu’une pour bien faire. Le bonheur n’est pas le même pour tous car le choix de la juste mesure en quoi consiste la vertu dépend des circonstances dans lesquelles on se trouve et de la nature de chacun.

La conception épicurienne et stoicienne

L’eudémonisme dÉpicure et des stoiciens est plus subjectif; le bonheur est la possession des biens mais il ne dépend pas de nous de les posséder. Cest pourquoi le stoïcisme conseille de vouloir ce qui arrive. Seul le sage est heureux, cest un épicurien car il sait régler ses désirs. «?Il faut changer ses désirs plutôt que lordre du monde?», est la citation qui illustre le mieux la conception épicurienne du bonheur. Ne désirant que ce quil peut obtenir, lhomme ne manque pas d’obtenir ce qui désirePour les stoïciens, le sage est celui qui met en conformité ses actions avec l’ordre de la nature. Le stoïcisme vise lui aussi l’ataraxie mais par la vertu et la raison. 

Epicure, Texte 1

Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que parmi les premiers il y en a qui sont nécessaires et d’autres qui sont naturels, seulement. Parmi les nécessaires il y en a qui le sont pour le bonheur, d’autres pour la tranquillité continue du corps, d’autres enfin pour la vie même. Une théorie non erronée de ces désirs sait en effet rapporter toute préférence et toute aversion à la santé du corps et à la tranquillité de l’âme, puisque c’est la perfection même de la vie heureuse. Car tous les actes visent à écarter de nous la souffrance et la peur. Lorsqu’une fois nous y sommes parvenus, la tempête de l’âme s’apaise, l’être vivant n’ayant plus besoin de s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni de chercher autre chose pour parfaire le bien de l’âme et celui du corps. C’est alors en effet que nous éprouvons le besoin du plaisir quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; mais quand nous ne souffrons pas, nous n’éprouvons plus le besoin du plaisir. Et c’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. C’est lui en effet que nous avons reconnu comme bien principal et conforme à notre nature, c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter, et c’est à lui que nous avons finalement recours lorsque nous nous servons de la sensation comme d’une règle pour apprécier tout bien qui s’offre. 

Epicure, Lettre à Ménécée

Epicure, texte 2

Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité.(…) Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on vent recueillir, mais la plus agréable. Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un.

Texte  Epictète

Il y a ce qui dépend de nous, il y a ce qui ne dépend pas de nous. Dépendent de nous l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion, en un mot toutes nos oeuvres propres ; ne dépendent pas de nous le corps, la richesse, les témoignages de considération, les hautes charges, en un mot toutes les choses qui ne sont pas nos oeuvres propres. Les choses qui dépendent de nous sont naturellement libres, sans empêchement, sans entrave ; celles qui ne dépendent pas de nous sont fragiles, serves*, facilement empêchées, propres à autrui. Rappelle-toi donc ceci : si tu prends pour libres les choses naturellement serves, pour propres à toi-même les choses propres à autrui, tu connaîtras l’entrave, l’affliction, le trouble, tu accuseras dieux et hommes ;mais si tu prends pour tien seulement ce qui est tien, pour propre à autrui ce qui est, de fait, propre à autrui, personne ne te contraindra jamais ni ne t’empêchera, tu n’adresseras à personne accusation ni reproche, ni ne feras absolument rien contre ton gré, personne ne te nuira ; tu n’auras pas d’ennemi ; car tu ne souffriras aucun dommage.  Toi donc qui poursuis de si grands biens, rappelle-toi qu’il faut, pour les saisir, te remuer sans compter, renoncer complètement à certaines choses, et en différer d’autres pour le moment. Si, à ces biens, tu veux joindre la puissance et la richesse, tu risques d’abord de manquer même celles-ci, pour avoir poursuivi ceux-là, et de toute façon tu manqueras assurément les biens qui seuls procurent liberté et bonheur. Aussi, à propos de toute idée pénible, prends soin de dire aussitôt : « Tu es une idée, et non pas exactement ce que tu représentes. » Ensuite, examine-la, éprouve-la, examine-la selon les règles que tu possèdes, et surtout selon la première, à savoir : concerne-t-elle les choses qui dépendent de nous ou celles qui ne dépendent pas de nous ? Et si elle concerne l’une des choses qui ne dépendent pas de nous, que la réponse soit prête : « Voilà qui n’est rien pour moi. »

Épictète, Manuel I 

LE STOICISME ET L’EPICURISME :

Similitudes et différences : Le but de ces deux philosophies est le bonheur, la sérénité, la tranquillité de l’âme.

Epicurisme stoicisme

 

Le bonheur est-il la satisfaction de tous les désirs? Platon, Gorgias

Platon, disciple de Socrate, se détourne de sa carrière politique à la mort de son maitre. Pour lui, le monde sensible est faux et laid. Seul le monde intelligible, celui des Idées, mérite notre attention. Platon dans le Gorgias utilise  le dialogue, comme dans la plupart de ses œuvres.

 

Dans ce dialogue extrait du Gorgias, Platon fait dialoguer Calliclès et Socrate qui s’opposent sur la conception du bonheur… C’est évidemment le point de vue de Socrate que défend Platon.

CALLICLÈS – si on veut vivre comme il faut, il faut laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, au lieu de les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions  et de les assouvir, elles et tous les désirs qui les accompagnent. Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée de tout  le monde. C’est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire. La masse déclare donc bien haut que l’intempérance est une vilaine chose.  C’est ainsi qu’elle réduit à l’état d’esclave les hommes dotés d’une plus forte nature que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause de leur propre lâcheté. Car pour ceux qui ont hérité du pouvoir ou qui sont dans la capacité de s’en emparer (…), pour ces hommes-là, qu’est-ce qui serait plus mauvais que la tempérance ? ce sont des hommes qui peuvent jouir de leurs biens, sans que personne n’y fasse obstacle (…) La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : si la vie facile, l’intempérance, et la liberté de faire ce qu’on veut, demeurent dans l’impunité, ils font l’excellence et le bonheur. Tout le reste, ce ne sont que de belles idées, des conventions faites par les hommes et contraires à la nature, rien que des paroles en l’air, qui ne valent rien.                                                                                          

SOCRATE— Ce n’est pas sans noblesse, Calliclès, que tu as exposé ton point de vue, tu as parlé franchement. Toi, en effet, tu as exposé clairement ce que les autres pensent  mais ne veulent pas dire. Je te demande donc de ne céder à rien, en aucun cas ! Comme cela, le genre de vie qu’on doit avoir paraîtra tout à fait évident. Alors expliques-moi : tu dis que, si l’on veut vivre tel qu’on est, il ne faut  pas réprimer ses passions, aussi grandes soient-telles, mais se tenir prêt à les assouvir par tous les moyens. Est-ce bien en cela que consiste [le bonheur et] l’excellence ?                                

CALLICLÈS- Oui, je l’affirme !                                                                                                                                                                              

SOCRATE- On a donc tort de dire que ceux qui n’ont besoin de rien sont heureux.                                                        

CALLICLÈS- Oui, car, à ce compte, les pierres et les cadavres seraient très heureux.                                                               

SOCRATE -Mais, tout de même, la vie dont tu parles, c’est une vie terrible ! 

(…) D’ailleurs, un sage  fait remarquer que, de tous les êtres qui habitent l’Hadès, le monde des morts, -là il veut parler du monde invisible- les plus malheureux seraient ceux qui, n’ayant pu être initiés, devraient à l’aide d’une écumoire apporter de l’eau dans une passoire percée. Avec cette écumoire, tou­jours d’après ce que disait l’homme qui m’a raconté tout cela, c’est l’âme que ce sage voulait désigner.  Oui, il comparait l’âme de ces hommes à une écumoire, l’âme des êtres irréfléchis est donc comme une passoire, incapable de rien retenir à cause de son absence de foi et de sa capacité d’oubli.

Ce que je viens de te dire est, sans doute, assez étrange; mais, pourtant, cela montre bien ce que je cherche à te faire comprendre. Je veux te convaincre, pour autant que j’en sois capable, de changer d’avis et de choisir, au lieu d’une vie déréglée, que rien ne comble, une vie d’ordre, qui est contente de ce qu’elle a et qui s’en satisfait.

Platon, Gorgias

 

Le bonheur, un idéal de l’imagination - Le christianisme et le kantisme - Le bonheur kantien est l’aboutissement historique du christianisme.

Le bonheur, un idéal de l’imagination

Nous devons pour répondre à la question, poser les difficultés pour définir ce concept de bonheur. Il n’y a pas de définition universelle possible car il n’est pas valable pour tous de la même façon. La définition est donc relative. Il échappe à la simple volonté. Pour Kant, c’est un idéal non de la raison mais de l’imagination donc il est impossible de le poser comme fin d’une action morale. Il est en conséquence impossible d’être heureux sans être vertueux et vertueux en étant malheureux. L’action morale n’est pas celle qui rend l’homme heureux mais celle qui le rend digne de l’être.

“[…] le malheur est que le concept* du bonheur soit un concept tellement indéterminé’ que, même si tout homme désire d’être heureux, nul ne peut jamais dire pourtant avec précision et en restant cohérent avec soi-même ce que vraiment il souhaite et veut. […]

[…] S’il veut la richesse, combien de soucis, quelle envie et que d’embûches ne risque-t-il pas d’attirer ainsi sur sa tête! S’il veut beaucoup de connaissances et de discernement, peut-être cela ne pourra-t-il que se transformer en un regard d’autant plus aiguisé pour lui montrer d’une façon seulement d’autant plus effrayante les maux qui jusqu’ici restent encore dissimulés à ses yeux et qui ne sauraient pourtant être évités, à moins que cela ne fasse que charger d’encore plus de besoins ses désirs, qu’il a déjà bien assez de difficulté à satisfaire. S’il veut une longue vie, qui va lui soutenir que ce ne serait pas là une longue misère ? S’il veut du moins la santé, combien de fois les ennuis physiques l’ont-ils préservé d’excès où l’aurait fait tomber une pleine santé, etc. Bref, il est incapable de déterminer selon un principe’ avec une complète certitude ce qui le rendrait vraiment heureux, — car pour cela l’omniscience serait indispensable. […J le bonheur est un idéal, non pas de la raison*, mais de l’imagination”.

Emmanuel KANT, Métaphysique des moeurs, t. I, Fondation (1785) 

Le christianisme et le kantisme

le christianisme condamne le bonheur et pose le salut de l’âme comme la seule fin digne d’un chrétien. St Just pose le bonheur comme un droit par opposition au christianisme. St Just considère que tous les hommes doivent être délivrés du besoin afin que chacun puisse rechercher son bonheur. C’est une exigence de justice que l’état doit satisfaire. Il s’agit de confier à l’état la charge du bonheur de chacun à travers la définition d’un bonheur commun : est-ce une utopie?

Avec le christianisme, l’idée grecque d’un bonheur assuré par la rationalité de l’action selon la juste mesure est éliminée; le bonheur n’est pas de ce monde; il faut s’occuper du salut de l’âme et non du bonheur concret de l’homme. L’homme ne tire pas le bonheur de lui-même mais d’une force en lui : la grâce divine. L’idéal chrétien ne recherche pas les impératifs du bonheur mais en fait une espérance, c’est le royaume des cieux.

Le bonheur kantien est l’aboutissement historique du christianisme.

Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable à qui dans le cours de son existence, tout arrive selon son souhait et sa volonté. La moralité de nos actions ne peut consister en ce qu’elles nous procurent le bonheur. La diversité des mobiles est telle qu’il n’y aurait pas de loi morale. Pour cette raison, la moralité est indépendante des fins empiriques de l’action. A l’inverse, le bonheur ne peut pas découler de la moralité de nos actions, c’est-à-dire, de notre vertu puisque celle-ci ne consistant pas à vouloir quelque fin déterminée mais agis par respect de la loi morale, elle n’a aucun rapport nécessaire avec le bonheur dont la réalisation suppose qu’on agisse d’après la connaissance des lois naturelles. La seule possibilité de lier vertu et bonheur consiste à supposer l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu et un monde intelligible., il nous faut poser le royaume de Dieu dans lequel la sagesse divine rend possible l’harmonie de la volonté et de l’ordre des choses. Cela fait du bonheur la conséquence de la vertu.

La morale n’est pas la discipline qui nous enseigne comment être heureux mais comment nous devons nous rendre dignes du bonheur. Le point commun entre le kantisme et le christianisme est le suivant :

Ils font du bonheur une valeur morale

L'homme a le droit au bonheur, Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, 1776

Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.

Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, 1776

Mais le bonheur n'est pas la seule valeur - Jean Anouilh, Antigone, 1944

 

ANTIGONE, doucement : – Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents sont petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?

CRÉON hausse les épaules : – Tu es folle, tais-toi.

ANTIGONE : – Non, je ne me tairai pas. Je veux savoir comment je m’y prendrai, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c’est tout de suite qu’il faut choisir. Vous dites que c’est si beau la vie. Je veux savoir comment je m’y prendrai pour vivre.

CRÉON : – Tu aimes Hémon ?

ANTIGONE : – Oui, j’aime Hémon. J’aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais […] s’il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s’il doit apprendre à dire « oui », lui aussi, je n’aime plus Hémon !

CRÉON : – Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi.

ANTIGONE : – Si, je sais ce que je dis, mais c’est vous qui ne m’entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d’un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah ! je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d’un coup ! C’est le même air d’impuissance et de croire qu’on peut tout. La vie t’a seulement ajouté tous ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi.

CRÉON la secoue : – Te tairas-tu, enfin ?

ANTIGONE : – Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce que je sais que j’ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j’ai raison, mais tu ne l’avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os.

CRÉON : – Le tien et le mien, oui, imbécile !

ANTIGONE : – Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent.

Jean Anouilh, Antigone, 1944

Avec ses théories sur l’inconscient, Freud montre que l’homme «n’est pas maître en sa propre maison»

La découverte de l'insconscient 

Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine des besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d’une situation qu’a fait désirer le principe de plaisir* n’engendre qu’un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l’état en lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l’expérience du malheur. La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que tout autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celle dont l’origine est autre.

Sigmund FREUD, Le Malaise dans la culture (1930) 

Nietzsche, le devenir éternel. Vivre chaque instant de notre vie avec l’idée suivante : accepterais-je de le revivre ?

Admettons que nous soyons destinés à revivre éternellement ce que nous vivons aujourd’hui: que penserions-nous de cette perspective? De notre réponse dépendra  notre présent. « Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait: «Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque  plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des  poussières! » – Ne te jetterais-tu pas par terre en grinçant des dents et en maudissant le démon qui parla ainsi ? Ou bien as-tu vécu une fois un instant formidable où tu lui répondrais: « Tu es un dieu et jamais je n’entendis rien de plus divin!» Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, toi, tel que tu es, et, peut-être, t’écraserait; la question, posée à  propos de tout et de chaque chose, «veux-tu ceci encore une fois et encore d’innombrables fois?» ferait peser sur ton agir le poids le plus lourd! Ou combien te faudrait-il aimer et toi-même et la vie pour ne plus aspirer à rien d’autre qu’à donner cette approbation et apposer ce sceau ultime et éternel ?

  Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir

Citations sur le thème du bonheur pour un devoir type bac

 

Spinoza : «?il n’est pas de plus grand bonheur que de comprendre et de penser?»

St Just : «?le bonheur est une idée neuve?»

Descartes : «?il faut changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde?»

Aristote : «?le propre de l’homme est lactivité de lâme en conformité avec la vertu?»

Épicure «?la plaisir est la fin de la vie?».

Leibniz :“Notre bonheur ne consistera jamais dans une pleine jouissance, où il n’y aurait plus rien à désirer; mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections

Sujets corrigés bac 

Peut-on être heureux sans être libre?

 

Le bonheur prime t’-il sur la liberté? L’homme peut préférer sa liberté au bonheur qui peut aussi en être la condition de possibilité. Les hommes veulent tous atteindre le bonheur, la liberté et le bonheur sont deux concepts difficiles à définir.

Dans la philosophie antique, le bonheur est le souverain Bien, c’est-à-dire, la fin suprême à laquelle toutes les autres fins sont subordonnées. Le bonheur par conséquent n’est pas un don. Il est en notre pouvoir. Par opposition à la pensée commune, il est nécessaire d’opposer le plaisir et le bonheur. Le plaisir est éphémère tandis que le bonheur par opposition à l’agréable est durable. Donc le plaisir et l’agréable peuvent tout au plus en être l’accompagnement.

Peut-on être heureux sans être libre? Il semblerait que la liberté soit la condition de possibilité du bonheur.

?

1.Etre libre n'est pas vivre selon ses désirs. Le bonheur est absence de trouble

Selon Aristote, Épicure et les stoiciens, le bonheur est durable; il n’est pas dissociable d’une vie vertueuse fondée sur la raison;La raison est le propre de l’homme, elle doit guider ses choix.

Une vie heureuse serait par conséquent une vie conforme à la raison.

Pour Épicure, il faut régler ses désirs sur la nature. Pour les stoiciens, l’homme doit accepter l’ordre du monde. Le bonheur est une absence de

trouble. Pour Aristote, le bonheur est l’activité et la vertu propres à chaque être. Celle de l’homme est de penser; une vie heureuse est une vie pleinement humaine c’est-à-dire, délivrée du besoin et tournée vers l’intelligence.

L’eudémonisme d’Épicure et des stoiciens est plus subjectif; le bonheur est la possession des biens mais il ne dépend pas de nous de les posséder. C’est pourquoi le stoïcisme conseille de vouloir ce qui arrive. Seul le sage est heureux, c’est un épicurien car il sait régler ses désirs. «??Il faut changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde??», est la citation qui illustre le mieux la conception épicurienne du bonheur. Ne désirant que ce qu’il peut obtenir, l’homme ne manque pas d’obtenir ce qui désire.

II - Il est nécessaire d'être libre pour être heureux à condition que nous soyons maître de nous-même

L'homme peut-il être heureux en étant asservi? Privé de sa liberté, l'homme se voit démuni, défait de son humanité, privé de essence. Un prisonnier réduit à vivre sa condition ne peut ressentir le bonheur, le goût pour la vie dont il a été privé. Sans liberté, pas de bonheur possible. L'homme ne peut s'accomplir et réaliser son essence d'homme qu' en exercant sa liberté de choix.

Le bonheur prime t’-il sur la liberté? L’homme peut préférer sa liberté au bonheur qui peut aussi en être la condition de possibilité.

Sartre : Les Justes : l’idéologie peut-être notre raison de vivre, notre liberté au combat et pour l’idée : vivre libre ou mourir; Préférer rester fidèle en acte de nos convictions politiques et idéologiques. Préférer la mort au renoncement à ses idées.

Si la liberté est un moyen d’atteindre le bonheur, les conséquences nous éclairent sur la question :

Le travail devient un moyen d’atteindre le bonheur car il sert à être heureux

Il en va de même pour les valeurs morales : ne pas tuer autrui par exemple, aider son prochain : la solidarité, le partage l’entraide sont des valeurs valorisantes pour l’homme en quête de reconnaissance et d’accomplissement : il y a de l’épanouissement et du bien-être de l’homme.

La liberté devient un moyen d’être heureux

Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ?

 

Les distinctions conceptuelles qu'il nous faudra travailler et développer dans notre dissertation :

Vivre / et Bien-vivre (Aristote)

Bonheur (durable) / plaisir (sur l'instant)

Besoins / désirs

Il serait intéressant d'analyser le terme « faut-il » qui renvoie à une nécessité, une exigence.

Le questionnement s'organise donc autour de la relation entre l'Homme et le Bonheur.

Reformulation du sujet :

Pouvons-nous trouver le bonheur sans l'avoir cherché ?

Pour être heureux, doit-on rechercher le bonheur ?

Problématisation:

Le sujet de la dissertation interroge le fait qu'il faille rechercher le bonheur pour le trouver. Cela questionne aussi l'élan de l'Homme dans sa recherche du bonheur. Il soulève les questions suivantes :

Est-il nécessaire de rechercher le bonheur pour être heureux ?

Est-on obligé de rechercher le bonheur pour l'avoir ?

Plan possible : Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ?

I. La recherche du bonheur est propre à la vie Humaine

A. Les animaux connaissent l'agréable et le douloureux mais pas le bien et le mal. Alors que l'Homme est un être politique qui se fédère en Cité autour de valeurs comme le bien et le Mal , le juste et l'injuste . La fin de toute cité est le Bonheur comme la fin ultime de toutes les actions de l'Homme est le Bonheur. Ainsi nous pouvons dire que toute la vie de l'Homme a comme but la recherche du bonheur.

B. Pour la philosophie le « Souverain Bien » se travaille Les Stoïciens, pour trouver le bonheur, il faut atteindre la paix de l'âme ou « ataraxie »

II. Trouver le Bonheur, un travail sur ses désirs

A. L'Homme est un être de désirs. Le caractère illimité du désir fait qu'il est un obstacle pour le bonheur car il laisse l'Homme dans un état constant d'insatisfaction et de manque. Ainsi pour trouver le bonheur il est nécessaire de chercher à les maîtriser.

B. Par exemple, chez les Epicuriens, pour trouver le bonheur il faut satisfaire seulement ses désirs essentiels.

III. Le Bonheur est inatteignable mais...

A. Le Bonheur est inatteignable car nous sommes des êtres de désirs et nos désirs sont illimités. Platon l'illustre avec l'exemple du tonneau percé

B. Cependant, il faut distinguer plaisir et joie. La joie est un état durable. C'est selon Bergson, une création de soi par soi.

Peut-on être heureux en étant injuste ?

 

Définitions : 

"heureux" : le bonheur est un état de satisfaction prolongée, ce qui le distingue du plaisir, simplement momentané.

"injuste" : qui commet des injustices envers les autres.

"pouvoir" : possibilité accidentelle ou possibilité essentielle ?

Problématique : Est-il possible dans les faits d'être heureux tout en contrvenant à la loi, ou bien le bonheur nécessite-t-il le respect de la loi morale ?

I L'inquiétude résultant de l'infraction à la loi empêche le sujet d'être heureux.

A) Difficulté à s'accorder sur une définition de ce qu'est être injuste. Celle qui semble être la plus objectivement déterminable c'est l'infraction de la loi de son pays.

B) Or, l'infraction à la loi de son pays met le sujet au devant de sanctions. Le droit qui fonde l'institution judiciaire est en effet par essence contraignant. Cf Kelsen, Théorie pure du droit. La peur de la sanction empêche les hommes d'être heureux.

II Il est possible d'être heureux bien que l'on commette des actions injustes.

A) Le bonheur ne peut être défini comme la seule absence de sanctions extérieures, il doit posséder un contenu positif. Satisfaire ses désirs semble être un moyen d'accéder au bonheur.

B) Or, être injuste permettant de satisfaire ses désirs sans prendre garde à autrui qui pourrait limiter la satisfaction des désirs. Cf Calliclès dans le Gorgias de Platon.

III Seul la recherche de l'action juste mène nécessairement au bonheur. 

A) La satisfaction des désirs est elle-même infinie et ne peut pas conduire au bonheur. Le désir est toujours ou bien manqué ou bien nous étouffe. Cf Sénèque

B) La raison ne peut se contenter d'une voie d'accès accidentelle au bonheur. Seul la recherche de l'action juste permet une nécessité du bonheur, grâce à la satisfaction du respect de la loi morale. Cf Kant, Critique de la raison pratique.

Date de dernière mise à jour : 01/08/2023

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