Commentaire littéraire, Supplément au voyage de Bougainville, Diderot, chapitre II. Bac de français 2021

"Pleurez, malheureux Tahitiens ! pleurez ...ni de tes vertus chimériques." la vie naturelle et de la civilisation européenne. La dénonciation de la colonisation

Paul gauguin fatata te miti

Exemples d'essais et de textes réduits. Contractions corrigées-support Lévi-Strauss Parcours l’Autre et l’Ailleurs 

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Le Supplément au Voyage de Bougainville, ou Dialogue entre A et B sur l'inconvénient d'attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n'en comportent pas, est un conte philosophique de Denis Diderot écrit en 1772. Il paraît pour la première fois en volume en 1796 — à titre posthume, donc — dans un recueil d'Opuscules philosophiques et littéraires, la plupart posthumes ou inédites.

 

A  consulter, la littérature d'idées, bac de français 2021

Le mythe du bon sauvage, Diderot, le Supplément au voyage de Bougainville   -  Autre analyse 

Saint John Perse, commentaires littéraires, "Le mur", Image à Crusoé, et "Vendredi" Éloge. Version du mythe du bon sauvage.

 Questionnaire sur le siècle des lumières

 

 

Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, II, 1796 

Au départ de Bougainville, lorsque les habitants accouraient en foule sur le rivage, s'attachaient à ses vêtements, serraient ses camarades entre leurs bras, et pleuraient, ce vieillard s'avança d'un air sévère, et dit :
"Pleurez, malheureux Tahitiens ! pleurez ; mais que ci soit de l'arrivée, et lion du départ de ces hommes ambitieux et méchants : un jour, vous les connaîtrez mieux. Un jour, ils reviendront, le morceau de bois que vous voulez attaché à la ceinture de celui-ci, dans une main, et le fer qui pend au côté de celui-là, dans l'autre, vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir à leurs extravagances et à leurs vices ; un jour vous servirez sous eux aussi corrompus, aussi vils, aussi malheureux qu'eux Mais je me console ; je touche à la fin de ma carrière ; et la calamité que je vous annonce, je ne la verrai point. (Tahitiens ! ô mes amis ! vous auriez un moyen d'échapper à un funeste avenir ; mais j'aimerais mieux mourir que de vous eu donner le conseil. Qu'ils s'éloignent, et qu'ils vivent."
Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta : "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? 0rou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi-même, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère.
Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse nous nos mœurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance, contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons.
Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n'avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quai nous vêtir. Tu es entré dans nos cabaties, qu'y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, titre des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l'étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t'agiter, te tourmenter tant que tu voudras ; laisse-nous reposer : ne nous entête là de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques.

 

Introduction : 
1713-1784 philosophe des Lumières, c’est lui qui a supervisé la rédaction de l’encyclopédie et a un écrit un certain nombre d’œuvres diverses (théâtre, roman, critique). Le livre a été écrit à la suite de la publication de Bougainville. Le texte de Diderot est un dialogue entre A qui a lu le livre et B qui ne l’a pas lu. A raconte donc le discours d’adieu du vieillard à Bougainville. Diderot dresse le tableau d’une société océanienne idéale qu’il faut protéger de ceux qui prétendent être la civilisation. Un sage tahitien condamne l’intrusion des Européens et prédit le sort de l’île que les français se sont appropriés en 1769 . 

Problématique : 
Comment Diderot parvient-il à faire du bonheur l’antithèse du mode de vie européen ? 

 

 

A consulter pour bien travailler le texte, le corrigé de la question de corpus 

Texte 1 : Le Tahitien - Supplément au voyage de Bougainville, Diderot

 Texte 2 : Polly Baker -> Guillemette la Charnue

Texte 3 : Cyrano de Bergerac, Les États et Empires du Soleil

  • I) Les acteurs de ces dénonciations.
  • a). Des protagonistes convaincants
  • b). Les coupables de ces mœurs.
  • II) Des réquisitoires au service de la Justice
  • a). L’ironie au sein même du système Judiciaire
  • b). Une stratégie d’appel à la raison.

 

 

 


I) Comparaison de la vie naturelle et de la civilisation européenne

1) Eloge de la vie naturelle (mythe du bon sauvage) 
- Valorisation du mode de vie des tahitiens à l’aide de vocabulaire mélioratif. 
- Définition du bonheur  « nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. » avec une parataxe et un parallélisme. Il y a un lien de cause à effet : les tahitiens ne nuisent à personne opposé à l’attitude des européens qui eux ne peuvent que nuire  « tu ne peux que nuire à notre bonheur » cela est mis en relief par le point-virgule qui remplace le connecteur logique. 
- Pratique du bonheur -Cette pratique du bonheur se fait d’abord par le communautarisme  « Ici tout est à tous. (…) Nos filles et nos femmes nous sont communes » mis en relief avec une allitération en « t » et « s » et assonance en « o » . Il y a une harmonie, les filles et les femmes appartiennent à tout le peuple tahitien qui est une grande famille - Les tahitiens ont une vision épicurienne du bonheur, ils comblent leurs désirs et se satisfont du nécessaire mis en évidence par l’assonance en « ou »  « Tout ce qui nous est nécessaire et bon nous le possédons ». Avec le parallélisme  « Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir ». Et la question rhétorique  « tu es entré dans nos cabanes qui manque- t-il à ton avis ? ». Met en valeur la complétude du bonheur des tahitiens. -La vie des tahitiens est faite de simplicité  « Nous suivons le pur instinct de la nature » « Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières, la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous parait préférable au repos. » 

2)Critique du mode de vie européen 
- Les européens sont-ils moraux ? Champ lexical de l’immoralité  « Ambitieux et méchants »  « extravagances et vices »  « vertus chimériques » 
- La propriété est contre nature d’après le texte  « tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien »  « Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y a mis le pied ? ». Marque de mépris ( ?, !) du vieillard et dénonciation de l’absurdité de l’appropriation de l’île par Bougainville. Pour le vieillard la terre appartient aux premiers habitants. Donc Diderot condamne les actions de Bougainville. 
- La propriété ne permet pas d’accéder au bonheur  « des besoins superflus » il s’agit d’un oxymore pour montrer à quel point les besoins des européens sont superficiels « Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter » « tes besoins factices ». 
- La connaissance n’est pas préférable à l’ignorance  « Nous ne voulons pas troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles Lumières » 
- Les européens ne savent pas profiter de ce qu’ils ont  « ils n’auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires ». 
-Cette course permanente qui se trompe d’objet rend les européens malheureux.  «un jour vous servirez sous eux, aussi vils, aussi corrompus, aussi malheureux qu’eux ». Ce malheur est mis en relief par le rythme ternaire et l’anaphore. 
-La thèse = emploi du comparatif de supériorité « plus que »  « Laisses- nous nos mœurs, elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes. » -Exemple 1 le peuple tahitien possède des qualités physiques  « Regarde ces hommes ; vois comme ils sont droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles. » 
- Les qualités sont mises en évidence par le parallélisme, l’usage de synonyme et de l’impératif « regarde », « voit ». Les tahitiens sont la preuve vivante de la justesse du mode de vie. 
- Le vieillard se prend lui-même comme exemple : Prends cet arc, c’est le mien ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de tes camarades, et tâchez de le tendre. Je le tend moi seul ; » Il s’agit d’une référence à la fin de l’Odyssée, le vieillard est donc comparé à un héros antique.  « ; je laboure la terre ; je grimpe la montage ; je perce la forêt ; je parcours une lieue de la pleine en moins d’une heure. Tes compagnons ont eu peine à me suivre, et j’ai quatre-vingt-dix ans passés. » C’est une accumulation parataxique et une hyperbole qui met en valeur la force du vieillard. => Il y a une gradation, le vieillard sert de point d’orgue à sa démonstration. 


II) La dénonciation de la colonisation 

1) Un discours éloquent et prophétique 
- Le vieillard tient deux discours : 
-Le premier est le discours aux tahitiens solennel  « Ce vieillard s’avança d’un air sévère » et pathétique  « Pleurez, malheureux Tahitiens ! » 
- Discours méprisant et polémique à Bougainville  « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent ! » 
- Le vieillard est une figure expériences et d’autorités, il apparaît aussi comme un sage mais surtout comme un prophète. : 
- « Un jour, vous les connaîtrez mieux », « un jour, il reviendront »  « un jour vous servirez » Il utilise le futur et l’anaphore « un jour ». - Il évoque l’avenir avec certitude  « la calamité que je vous annonce »,  « un funeste avenir »  « notre futur esclavage » - Le ton du vieillard est emphatique : - 16 phrases déclaratives, 10 injonctives, 10 exclamatives, et 10 interrogatives ces trois derniers types sont des marques d’indignation. - Apostrophe « malheureux tahitiens », « toi qui » - Anaphore  « pleurez », « un jour », « aussi », « et qu’ils », « nous sommes » « es-tu » « tu t’es »  « avons-nous »  « lorsque nous avons (…) nous avons de quoi »  - Une imprécation  « Malheur à cette île ! malheur aux tahitiens présents, et à tous les tahitiens à venir ! » 

2) Le surgissement de la violence 
- Si les tahitiens sont innocents et heureux, les européens ne peuvent que nuire. 
-La première violence des européens est exprimée contre les femmes  « tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. » Il y a une gradation et une allitération en « f » puis à nouveau une énumération qui rend compte de la rapidité avec laquelle s’installe la violence. 
- La violence s’est propagée des européens aux tahitiens, mais elle a pris tellement d’ampleur qu’à la fin elle s’exerce sur le mode de la réciprocité comme le montrent les pronoms : ce sont les femmes qui subissent les actions des européens (elles) mais ensuite les européens essuient également la violence (vous). 
- La seconde violence des européens est à venir, c’est l’esclavage comme le montre le champ lexical.  « enchaîné, égorgé, assujettir », -  « vous servirez sous eux » -  « tu as enfoui dans nos terres le titre de notre futur esclavage » -  « tu veux nous asservir » Cet esclavage se double du vol de Tahiti - « chef des brigands » c’est une apostrophe hyperbolique qui montre que les européens sont mauvais et que Bougainville est pire, cela introduit deux violences : le vol et l’inégalité car il y a un chef. 
 « tu as projeté le vol de toute une contré » 
- Les européens apportent donc la douleur « pleurer » « tu ne peux que nuire à notre bonheur. » La violence et la mort métonymie « fer », funeste 

3) Le dévoilement de la parole du Christ 
- La colonisation est donc critiquée car elle se fait dans la violence et qu’elle se base sur un système faussé selon lequel la civilisation européenne serait supérieure à une vie naturelle. 
-  « le morceau de bois que vous voyez attaché à la ceinture » Diderot critique aussi la civilisation européenne. Le bout de bois étant une métonymie pour désigner la croix du Christ. 
- Par la colonisation l’européen se donne des droits qui outrepassent sa condition humaine « Tu n’es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc pour faire des esclaves ? » 
- Les européens agissent dans un contre sens religieux puisque ils désobéissent à la parole du Christ « tu aimeras ton prochain comme toi-même » l’évangile selon saint luc puisqu’ils traitent les tahitiens comme eux mêmes n’aimeraient pas être traités. -« ils ont écrit sur cette lame de métal : ce pays est à nous (…) si un tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât (…) Ce pays appartient au Tahitien qu’en penserais tu ? »  « lorsqu’on t’a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t’es récrié, tu t’es vengé ; et dans le même instant tu as projeté dans ton cœur le vol de toute une contrée »  « tu n’es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, et tu veux nous asservir ! » 
- D’après cette façon d’agir, le tahitien ne serait pas le même que l’européen mais une « brute » alors qu’ils sont « frères »  « deux enfants de la nature » qui ont donc les même droits « quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? » 
-Le modèle de l’action de l’européen devrait être celui des tahitiens suivant le principe de la réciprocité qui est celui du dogme chrétien  « tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? » Un retournement hypothétique de situation, hypotypose rendant saisissante la réalité de la colonisation à venir. 

Conclusion : Ce texte présente la harangue d’un vieillard tahitien figure d’un homme sage et porte-parole de l’auteur. C’est donc un réquisitoire qui a pour objet la dénonciation de la notion de sauvage et de colonisation tout en proposant une autre définition du bonheur que celle des Lumières européennes. Ce bonheur réside dans la vie naturelle, le respect de tous les hommes et s’oppose donc aux valeurs individualistes de propriété et de connaissance. Le bonheur qui consiste alors à satisfaire seulement ce qui est indispensable à la vie et l’île de Tahiti apparait comme une utopie. 

 

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Date de dernière mise à jour : 21/11/2022

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